Page:Bosquet - Une femme bien elevee.pdf/227

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— Cette exaspération ne durera pas, mon enfant, et si ton mari te laisse libre de choisir entre lui et moi, tu lui donneras encore la préférence.

— Le crois-tu ? dit Adrienne, en la regardant fixement. Alors tu n’imagines pas ce que je souffre.

— Je ne le sais que trop.

— Non, tu ne le sais pas ; non, tu ne peux avoir deviné toutes les tortures navrantes de mon amour-propre. Rien ne m’identifie à cet homme : jamais il n’est mon égal : il est toujours au-dessus ou au-dessous de moi. Il connaît tout, il sait tout, il scrute l’univers, mais il n’a pas la science de mon cœur : son intelligence ne me vivifie pas, elle me fatigue, elle m’épuise. Qu’ai-je besoin d’aller parcourir et sonder l’immensité à sa suite ? de me perdre dans les abîmes de l’esprit et dans les abîmes de l’âme ? Un horizon plus borné me suffisait, le doux horizon de mon enfance, celui où je jouissais de ta protection, ma mère. Est-il un supplice plus humiliant que de voir sa pensée sans cesse dédaignée, repoussée, contredite ? C’est ma vie avec lui. Je ne trouve grâce à ses yeux que quand je renie ma dignité de femme : il