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VARIÉTÉS.

HISTOIRE APOCRYPHE DE LA FRANCE DEPUIS 1830 JUSQU’À CE JOUR.

Nous jouissons depuis onze ans d’un bonheur si parfait, la tranquillité générale est si complète, la sécurité si profonde, la France si puissante et si fière, que les publicistes auraient brisé leurs plumes s’ils n’avaient imaginé une mystification des plus originales et des plus audacieuses. Ils ont supposé que les évènemens de 1830 avaient enfanté une révolution. Une fois cette hypothèse admise, ils se sont amusés à composer une histoire fort ingénieuse qu’ils ont conduite fort habilement d’année en année jusqu’à ce jour, ils ont élevé un trône tout neuf, ils ont nommé des ministères qui se succèdent avec une rapidité merveilleuse, ils ont raconté des guerres coûteuses et stériles, supposé des émeutes et des massacres, inventé des guet-à-pens infâmes, creusé l’abîme du déficit, désorganisé la société jusque dans ses bases, et fait décheoir la France du premier rang qui lui a toujours appartenu. Cette histoire est des plus complètes, il n’y manque rien, absolument rien que la vérité, ce qui est peu de chose. Elle est devenue très-populaire, et je dois en féliciter les auteurs, mais je ne puis leur en faire reproche, car il y a au fond de leur œuvre un grand enseignement et une admirable moralité. Ils ont accumulé avec tant d’art les conséquences désastreuses qui naissent toujours de l’oubli des principes, ils ont si bien déchiré le voile dont la corruption ne manque jamais de s’envelopper, que je ne crois pas qu’il y ait de lecture plus propre à dégoûter des révolutions, — et si bientôt il sera si difficile de trouver un seul révolutionnaire en France, je ne balance pas à en attribuer tout l’honneur à cette curieuse histoire. Je me prends quelquefois à désirer qu’elle soit vraie pour que la leçon soit plus forte, mais elle est fausse, tout le monde le sait. Il n’y a donc pas lieu à la réfuter, aussi ne veux-je pas perdre mon temps à le faire, mais pour me reposer de cette lecture qui, toute salutaire qu’elle est, n’en porte pas moins avec elle son dégoût et sa fatigue, il me plaît de jeter un regard sur l’ensemble des grands évenemens véritables qui ont fait de la France le pays le plus puissant et le plus heureux de la terre.

Vous n’avez pas oublié que, trois jours après la publication des ordonnances devenues fameuses, Paris présenta un spectacle étrange. On aurait dit qu’un tremblement de terre avait tout bouleversé. Les rues étaient dépavées, des monceaux de décombres interceptaient le passage, le palais des rois était désert, le sang avait coulé, et le peuple, effrayé de sa victoire, regardait autour de lui avec stupeur. C’est alors qu’on vit s’avancer le duc de Mortemart, qui apportait la révocation des ordonnances, la convocation des chambres, les abdications de Charles X et du duc d’Angoulême en faveur de M. le duc de Bordeaux et la nomination de M. le duc d’Orléans à la lieutenance générale du royaume ! C’est alors aussi que M. de Lafayette, qui cette fois n’était pas monté sur son cheval blanc, prononça ce mot sublime qui lui fit tant d’honneur : Il n’est jamais trop tard !

Dès le lendemain, tous les députés se trouvèrent réunis comme