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LES ACTEURS.

clercs de la Basoche prennent pour eux les moralités, et, tous les ans, convient le public aux jeux amusants de la grand’salle du Palais ; les jongleurs s’emparent des soties et des farces : enfants des meilleures familles, ils prennent très justement le nom d’Enfants Sans-Souci. Bien différentes sont les deux troupes ; bien divers aussi leurs succès. Autant le jeu des clercs de la Basoche paraît ennuyeux dans la représentation lourde et allégorique des vices et des vertus, autant est vif, léger, animé, le jeu moqueur des Enfants Sans-Souci. Au moins ceux-là n’ont pas à la bouche qu’exhortations froides à la vertu, que malédictions contre le vice ; de leurs lèvres s’échappe le libre et vif esprit gaulois : quelle allure et quelle vie ! comme il rit franchement ! Critique, gouailleur, il imagine, il invente, il répand sa verve à flots ; vie publique, vie privée, politique, religion même, tout relève des Enfants Sans-Souci. Leur beau temps comprend les années qui s’écoulèrent de 1430 à 1440 ; Louis XI ne les avait point encore menacés de la corde, et ils pouvaient, sans contrainte et sans retenue, amuser les passants aux dépens de tout le monde. Tels furent du théâtre les différents genres et les acteurs que Gilles paya de ses deniers ; il faut dire maintenant avec quelle prodigue libéralité.

Enfants Sans-Souci et clercs de la Basoche, près de lui eurent toujours et souvent gracieux accès. Car les représentations des moralités appartenaient en propre aux clercs de la Basoche, et celles des soties et des farces aux Enfants Sans-Souci. Il n’hésitait pas d’ailleurs à les prendre à ses gages, à les faire venir à Orléans, à Angers ou à Tiffauges. Il se devait à lui-même enfin d’avoir pour lui seul une troupe d’acteurs aussi bien qu’un collège de prêtres ou une maison militaire. Après Désormeaux, plusieurs l’ont affirmé : « Il s’attacha une troupe de comédiens, de troubadours et de ménétriers, qui représentaient tous les jours devant lui des spectacles que l’on appelait alors mystères[1]. » L’auteur de

  1. Désormeaux, t. 1, p. 123.