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LA SCÈNE.

ficences de ses demeures et l’inépuisable fécondité de ses richesses ; mais il faut y voir aussi un moyen facile d’en tarir la source. Il est telles de ces représentations qui coûtaient trente, quarante et cinquante mille francs : de pareilles folies seraient inexcusables dans un état ; mais combien plus dans un particulier !

Encore pour les états qui favorisaient le théâtre, et pour les villes dont les municipalités votaient des fonds pour les jeux de la scène, les gains couvraient à peu près les dépenses. Car, au moyen âge, on payait pour entrer au théâtre, et l’on payait même fort cher. Telles loges se louaient parfois jusqu’à quatre-vingt-cinq francs ; aux plus mauvaises places, on payait en moyenne, par séance, une somme équivalente à un franc : somme considérable pour le peuple, qui était fort pauvre, et d’après laquelle on peut juger de sa passion pour les spectacles. Gilles de Rais était plus généreux que les confréries et les municipalités : sur son théâtre « le jeu était commun », c’est-à-dire gratuit pour tout le monde. Sa fortune en était considérablement diminuée ; mais, en revanche, combien sa gloire en devenait plus grande ! Il faut enfin apporter un dernier trait pour peindre au vif le fol orgueil de cet homme.

On conçoit aisément que les spectateurs affluaient de toutes parts à ces représentations dramatiques. Le goût naturel de ce temps pour les amusements de la scène faisait que le peuple, pour y accourir, négligeait même son travail, et oubliait jusqu’à sa misère. Les grands seigneurs, les évêques, les officiers du roi, le clergé, les moines eux-mêmes, les magistrats, les femmes du plus haut rang, y avaient leurs places marquées ; mais la gratuité du spectacle y amassait surtout le peuple en foule immense. Il arrivait même que les municipalités défendaient toute occupation, et qu’on recevait, chose bizarre ! l’ordre de s’amuser sous peine d’amende. Or, à tout ce peuple réuni, petits et grands, Gilles n’imaginait rien de plus digne de son nom et de sa libéralité que d’ouvrir d’immenses banquets : « l’hypocras » et les autres