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GILLES DE RAIS.

avec des espérances inouïes, il mit à la parcourir une incroyable ardeur, qui le poussa jusqu’aux dernières extrémités. Comme il ne comptait plus sur ses forces naturelles toujours faibles, mais sur des puissances supérieures dans sa pensée toujours efficaces, par une contradiction logique, lui, qui naguères désespérait de tout lorsqu’il n’attendait rien que de lui-même, osa bientôt, quand il se fut allié à un pouvoir supérieur à lui, ne plus se refuser à aucune espérance : secrets de la nature et de la vie, secret de faire l’or au fond du creuset ou de le découvrir dans les profondeurs de la terre ; secret de prolonger l’existence au delà des bornes marquées par la nature ; secrets de lire dans les cœurs et d’enchanter la nature à ses volontés, il n’est pas de folies auxquelles ne croyaient des hommes devenus fous et par la grandeur de leur audace et par celle de leurs espérances. Malgré tout ce que disent plusieurs savants contemporains sur la possibilité du grand œuvre, on ne revient pas de son étonnement, quand on voit des hommes penchés toute leur vie sur un creuset où bouillonne je ne sais quel mélange, philtre enchanté et toujours impuissant. Rien n’est plus vrai cependant : il n’y a point de question historique plus solidement établie que cette monstrueuse prétention de l’orgueil ; c’est une preuve que la crédulité humaine est sans bornes quand l’esprit humain est aveugle[1].

Gilles de Rais, poussé d’un côté par ce désir de tout pénétrer et de tout connaître qui caractérise son siècle, stimulé d’un autre par le besoin d’argent chaque jour augmenté encore par de nouvelles dépenses, ne pouvait pas ne point

  1. L’objet de l’alchimie, comme personne ne l’ignore, est la transmutation des métaux : faire de l’or ou de l’argent par des moyens artificiels, tel est le but de cette singulière science, qui passionna tout le moyen âge et qui n’est pas complètement éteinte de nos jours. Les alchimistes doivent arriver à leur but par la pierre philosophale dont ils poursuivent la découverte, et qui se trouve nommée dans nos Procès. Qu’était-ce donc que cette chose étrange ? Une substance mystérieuse dans son nom : on l’appelait la pierre, la poudre philosophale, le grand magistère, le grand élixir, la quintessence de teinture. Plus mystérieux encore était son pouvoir magique : elle devait, au gré de l’heureux possesseur, convertir en or ou en argent les plus vils métaux, gué-