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GILLES DE RAIS.

temps après que ces paroles furent prononcées, un impétueux tourbillon d’un vent glacial s’abattit sur le château, à tel point violent qu’Eustache en fut effrayé jusqu’au fond de l’âme[1].

Mais quelques invocations qu’il fit, quelque habileté qu’il apportât dans ses travaux, si attentif qu’il fut à surveiller la naissance du grand œuvre, et encore bien qu’il ne ménageât ni l’or ni les dépenses ruineuses, la pierre philosophale ne se forma pas dans le creuset, où il avait jeté toutes ses espérances. La richesse, la grandeur, le pouvoir, ces trois brillants fantômes, dorés par son imagination ambitieuse, s’évanouirent comme des ombres, devant l’éclat de la réalité ; et Gilles fut contraint de reconnaître que l’alchimie, qu’il avait regardée comme le moyen de s’enrichir, n’avait été, au contraire, qu’un nouveau chemin, et le plus sûr et le plus rapide, pour aller à une ruine complète. Comme il voulait faire croire qu’il créait de l’or, il avait à cœur de faire dire qu’il en faisait réellement. Son orgueil ne pouvait s’habituer à la pensée que l’on pût se moquer de l’inutilité de ses efforts ; d’où sa prodigalité le jetait dans des folies plus insensées encore que les pratiques de l’alchimie. Jamais générosité ne fut plus ridicule. S’il empruntait quelques grosses sommes aux bourgeois d’Angers, de Nantes ou d’Orléans ; s’il recevait l’argent de ses pensions royales, de ses revenus ou de la vente de quelqu’une de ses belles et riches propriétés, tout aussitôt on voyait dans sa demeure l’or couler à flots : les chambres, les tables, les cheminées, les meubles, les lits en étaient couverts ; nul n’en connaissait au juste la valeur ; il aurait rougi lui-même de s’en enquérir un seul instant, comme d’une préoccupation indigne d’un si grand seigneur, lequel avait trouvé les sources inépuisables de la richesse. Les ouvriers, auxquels il fournissait abondamment l’or, l’argent et toutes les autres matières précieuses, faisaient or à la vérité, mais à leur profit. Laissant à leur maître les

  1. Proc. ecclés., Conf. de Blanchet, fo 92.