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DÉSESPOIR.

richesses imaginaires qui allaient sortir de leur creuset, ils empochaient pour leur propre compte les richesses réelles qu’il y versait[1]. Le sot amour-propre de Gilles transformait donc sa maison en l’un de ces palais enchantés de la Perse moderne, où les princes sèment sous leurs pas et l’or et les faveurs. Aussi, courtisans, aventuriers, serviteurs, amis, familiers de toute sorte et de bout état, clercs et soldats, puisaient largement aux eaux abondantes du pactole bienfaisant. Mais il était facile de prévoir qu’enfin le fleuve serait tari par les canaux qui se gonflaient de ses ondes, et ne pourrait alimenter son cours jusqu’au bout ; assez semblable à ce fleuve du nord, si puissant depuis son origine jusque vers la fin de sa course, et qui, enfin, pour avoir fourni ses eaux à plusieurs ruisseaux, se perd lui-même, avant d’arriver à la mer, épuisé et tari dans les sables de dunes arides. Il advint que, vers la fin de sa vie, Gilles de Rais manquait de tout, même du nécessaire de la table, alors que ses serviteurs et ses courtisans avaient en abondance et le vivre et le couvert, et roulaient sur l’or[2]. C’est ainsi que l’alchimie et les dépenses extravagantes qu’elle amena, achevèrent de dévorer une fortune si profondément entamée déjà par les frais des représentations théâtrales, les magnificences des cérémonies religieuses et les mille joyeusetés d’une vie de fêtes et de plaisirs[3].

Ce n’était pas là ce que lui avaient promis Antoine de Palerne, François Prélati et tant d’autres ; ce n’était pas là ce qu’il avait rêvé lui-même en présence de ses coffres vides et à la vue de ses terres aliénées. Après la puissance, après la richesse, qui d’ordinaire est le prix dont on paye les honneurs, aucune chose n’avait plus fasciné le cœur de Gilles que la science, qui devait le mener à l’une et à l’autre ; et ces trois choses, la science, l’or et la puissance, n’étaient entrées¡. dans ses désirs que pour servir son ambition, la passion qui

  1. Mémoire des Héritiers, fo 6, vo ; fo 11, ro.
  2. Mémoire des Héritiers, fo 11, vo.
  3. Ibidem.