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GILLES DE RAIS

prenne, au début, dans la carrière des armes, comme à la fin, dans les pratiques de la magie, la science, la richesse et la puissance, terme inévitable où tendent tous ses désirs et tous ses efforts, sont constamment le but qu’il met à son ambition. Elles répondent à un triple besoin de sa vie : sa curiosité naturelle, son amour de la gloire humaine, sa passion de l’or, qui étaient si étroitement unies par le lien de l’ambition. Pour arriver à son but, on peut croire qu’il n’était rien qu’il ne fût décidé d’avance à faire : travaux guerriers, qui le menèrent si vite à la gloire militaire et aux honneurs de l’État ; folles dépenses, qui le conduisirent si rapidement à la ruine de sa fortune ; crimes de toutes sortes, qui le précipitèrent, les mains tendues vers des promesses jamais réalisées, dans un abîme où il s’engloutit ; tout semble jeu d’enfant à son ambition. Coûte que coûte, lui fallût-il donner pour prix de ces chimères, repos, bonheur, gloire, fortune, il voulait la science, mais la science qui mène à la richesse ; il voulait de l’or, mais l’or qui mène à la puissance ; il voulait la puissance enfin, mais une puissance qui donne une réalité aux rêves du pouvoir les plus extravagants. À tout prix, il veut refaire sa fortune qui croule, remonter au rang élevé d’où il déchoit, et consolider les bases de sa grandeur qui menace ruine. Il tuait même pour atteindre, dit Monstrelet « intentions aucunes, haultesses, et chevances et honneurs désordonnés » ; « par quoy il retournast au premier estat de sa seigneurie »[1], ajoutent les procédures civiles. Et pourtant, chose étrange ! si décidé qu’il fût à faire le sacrifice de tout, il y eut toujours deux choses que l’instinct de la conservation et les lumières vivaces de la foi lui firent toujours réserver : son âme et sa vie. Sa vie ; car, à quoi bon la science, la richesse et le pouvoir, si le démon, qui d’une main lui eût donné les objets de ses désirs, de l’autre lui eût enlevé le temps, c’est-à-dire le moyen d’en jouir ?

  1. Proc. ecclés., Acte d’accusation, p. XXIV ; Conf. de Gilles, p. LI. — Proc. civ., fo 387, ro, et 396, vo.