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Page:Bossard - Gilles de Rais dit Barbe-Bleue, 1886.djvu/201

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GILLES DE RAIS.

dans tous leurs détails les lugubres scènes de Champtocé, de Machecoul, de la Suze et de Tiffauges, nous pouvons approcher du moins en tremblant, comme la dame de Jarville et Thomin d’Araguin, et, par la fente légitimement ouverte à notre curiosité, jeter un regard dans la vie la plus secrète de Gilles de Rais et dans le huis-clos de la justice et de l’histoire. Non, la chambre où les sept femmes de Barbe-Bleue étaient pendues à la muraille n’est qu’un amusement auprès de ce qui se passa réellement dans la chambre à coucher de Gilles de Rais, maréchal de France.

Ceux qui, de l’année 1432 au mois de septembre 1440, habitèrent ou traversèrent les contrées de l’ouest de la France, qui sont comprises entre Angers, Rennes, Vannes et la Rochelle, sentaient qu’au milieu des populations, inquiètes et attristées d’abord, affolées enfin par la terreur, il se jouait dans l’ombre un drame effrayant et terrible : c’étaient, de toutes parts, cette inquiétude vague, cette tristesse, cette frayeur, qui accompagnent un fléau, la guerre ou la peste : en effet, un fléau, un monstre, « une bête d’extermination », selon l’expression de Michelet, insaisissable et partout signalée, invisible et partout présente, inconnue et partout maudite, ravageait les campagnes, suivie par le deuil et les larmes. Sur tous les points de la contrée à la fois disparaissaient comme par enchantement des jeunes gens, des jeunes filles, des enfants en bas âge ; car c’était uniquement à l’enfance et à la jeunesse que la bête mystérieuse s’attaquait ; disparus, personne n’entendait plus jamais parler d’eux ; toute voix se taisait ; toute trace était effacée : comme un silence de mort, mille fois plus lourd à porter que la nouvelle certaine de leur trépas, pesait sur leur mémoire. Qu’étaient-ils devenus ; étaient-ils morts ? s’ils vivaient encore, étaient-ils heureux ? ou gémissaient-ils au fond de quelque noire prison ? On les avait vus, à tel endroit, dans tel champ, dans telle rue, à telle heure du jour et de la nuit ; puis après…… c’était un mystère impénétrable.

Aux premiers récits de ces effrayantes disparitions, le