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GILLES DE RAIS.

et une nouvelle explosion. D’une extrémité à l’autre du pays, des récits circulèrent, mystérieux, terribles : les parents se rassemblèrent, et les commentaires allèrent leur train dans les foires voisines et dans les veillées du soir ; il n’y eut plus bientôt de disparition qui ne trouvât tout aussitôt ses nouvellistes, ses colporteurs, et d’autant plus actifs, que l’ennemi caché semblait être partout et menacer tout le monde. Dans l’Anjou, dans le Poitou, dans la Bretagne, sur toute la surface du pays, au foyer même de Gilles, entre sa femme et sa fille, il ne fut plus question que du fléau qui décimait les enfants du pays d’alentour ; il n’y eut bientôt presque pas de villes ni de bourgs où l’on ne citât quelqu’une de ces étranges disparitions. À Nantes, à Angers, à Vannes, à Josselin, à Pornic, à Bourgneuf, à Saint-Cyr-en-Rais, à Machecoul, à Tiffauges et dans toutes les paroisses avoisinantes, à Champtocé et dans tous les pays circonvoisins, la bête d’extermination passait et repassait, emportant toujours de nouvelles victimes. Elle semble être partout à la fois : elle parcourt les campagnes ; elle rôde autour des maisons ; elle se faufile jusque dans les foyers, dans les ténèbres comme à la lumière, à toutes les heures du jour et de la nuit. À Saint-Etienne-de-Montluc, un enfant, Jean Brice ; au Port-Launay, le fils de Jean Bernard ; à Machecoul, Georget le Barbier, Guillaume Roncin, Guillaume Gendon, Alexandre Chastelier ; de nombreux enfants aux environs de Tiffauges, de Mortagne et de Clisson ; un enfant de Saint-Mesme, près de Chinon[1] ; des enfants de Nantes ; des marchands forains des environs de Rennes, pour ne donner que quelques noms parmi les victimes et les pays ravagés, parlaient assez au peuple et de sa misère et de l’immensité du péril qu’il courait.

Qu’on lise lentement et avec attention les pages de l’enquête judiciaire et des deux procès de Nantes, et l’on se

  1. Enq. civ. des 28, 29, 30 sept., p. cxxv : « Ung nommé Oran, des parties de Sainct-Mesme, se complaignant piteusement et en plorent, de la perdicion d’un sien enffant. »