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DISPARITIONS D’ENFANTS.

représentera l’image de la douleur populaire. Dans les bourgs et les villes, à la nouvelle du malheur qui les frappe, les pères et les mères courent de toutes parts, s’adressant aux amis, aux étrangers, aux passants, se plaignant avec larmes de leur affreuse misère. Recherches infructueuses ! plaintes inutiles ! ni les bois, ni les champs, ni les routes, ni les fleuves, ni les voyageurs ne donnent trace des chers objets de leur tendresse et de leurs larmes. En vain se mettent-ils en voyage : d’Angers à Tiffauges et à Machecoul, de Pornic à Nantes, on rencontre à tout moment, sur les chemins, des malheureux qui redisent leurs infortunes à tout venant, et qui grossissent, par le récit de leurs propres malheurs, la douleur des habitants des lieux par où ils passent. Spectacle lamentable ! nous disent les actes de la justice, plein tout ensemble de colères, de douleurs, de soupçons et de larmes ! Voici une malheureuse mère qui court en pleurant à travers les rues de Nantes ; voici dans la ville de Machecoul, un père désolé qui arrive des environs de Tiffauges : il est parti depuis longtemps, et il n’a encore recueilli aucune nouvelle de son fils. Écho des douleurs de tout un pays, il raconte « que pour un enfant, qui est perdu au pays de Machecoul, il y en a sept aux environs de Tiffauges et qu’on les prend sur les champs en gardant les bêtes[1]. » Plus loin, voici des frères qui sont à la recherche d’un frère perdu, des amis qui pleurent un ami ; partout enfin des pères, des mères, des frères, des sœurs, des amis, des étrangers ; car personne ne peut demeurer insensible à de telles douleurs ; on les voit « s’en complaindre doloreusement » et se redisant les uns aux autres « de prendre bien garde à leurs enfants[2] » ; tous les jours, enfin, ce sont de nouvelles infortunes qui passent comme un vent de mort sur les villes et les campagnes ; le pays tout entier a comme un long frisson de terreur.

  1. Enq. civ. des 28, 29, 30 sept. 1440, p. cxxv.
  2. Enq. civ. des 28, 29, 30 sept. 1440, p. cxiii.