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LES COUPABLES.

elle souffrait à la mamelle. Sur quoi elle s’étonna grandement qu’il sût qu’elle y eût mal : « car je n’y ai point mal, » ajouta-t-elle. « Si vraiment, vous y avez mal, » lui répliqua-t-il avec assurance ; et en même temps il ajouta qu’elle n’était point du pays de Machecoul, mais de Pouancé. Et comme cette femme, de plus en plus surprise, lui demandait qui l’avait si bien informé : « Je le sais parfaitement bien, » répondit-il sans lui en dire plus long. Alors elle lui avoua qu’il disait vrai. Comme il allait s’en aller, il plongea la tête dans la maison et s’informa si elle n’était point mariée : elle lui répondit qu’elle l’était, mais que son mari était parti dans le pays de Pouancé pour se gager. Le marquis aperçut alors dans l’intérieur de la maison deux enfants en bas âge, un petit garçon et une petite fille, et voulut savoir si ces enfants étaient à elle ; et, comme elle répondit qu’ils étaient ses enfants, il lui demanda encore si elle n’en avait point d’autres. « J’ai encore deux garçons », dit-elle ; mais elle n’osa point ajouter qu’ils étaient absents. Sur ces mots, le marquis et Prélati s’éloignèrent. Comment ils avaient été si bien instruits de la maladie et du pays de cette femme, et de qui ils avaient appris des détails si précis, on le devine aisément. Mais on s’étonne de les voir jouer avec le soupçon, et, par leur démarche imprudente et leurs paroles plus imprudentes encore, l’éveiller dans l’esprit des familles. Car les réflexions que ce récit fait naître en nous, Isabelle Hamelin et son mari Guillaume se les firent aussi en s’entretenant de la perte de leurs enfants. Il n’en faut pas d’autres preuves que le récit de la visite faite à la mère et racontée par elle-même : il est étroitement lié à celui de la perte des deux enfants, et est visible à tous que cette pauvre mère a conclu à la singulière coïncidence qui existe entre la disparition de ses fils et la visite de ces deux hommes[1].

Aussi c’est en vain qu’ils s’enveloppent ensuite de mensonges : les mensonges, destinés à dissiper les défiances, les rassemblent et les fortifient. Quelques belles fables qu’ils

  1. Enq. civ. des 28, 29, 30 sept. 1440, p. CXXViii.