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LA MEFFRAYE.

naient les agents et les entremetteuses des plaisirs du baron[1]. Non qu’elles cherchaient à corrompre les enfants, mais elles les engageaient à son service ou au service de ses amis. Il n’était merveilles qu’elles ne racontaient de la magnificence du maréchal, de la somptuosité de ses demeures, de l’immensité de ses richesses, de la superfluité qui l’entourait, et surtout de ses largesses et de ses libéralités[2]. Les enfants rencontreraient chez lui fortune et bonheur, qui, par un écoulement naturel, se répandraient comme un fleuve bienfaisant sur leurs familles. De si belles promesses, un si charmant avenir, trouvaient, comme on le conçoit facilement, de nombreux admirateurs ; l’admiration produisait d’immenses désirs ; moitié par ambition personnelle, moitié par amour pour leurs enfants, les parents se laissaient persuader ; ils les donnaient pour servir de pages ; moins encore, pour remplir toutes sortes d’emplois dans une maison tant vantée. Le crime se voilait sous ces mensonges ; sous ces fleurs, des périls étaient cachés. Les enfants, livrés au seigneur de Rais, ne reparaissaient plus ; on n’entendait plus jamais parler d’eux ; si leurs familles inquiètes demandaient de leurs nouvelles au maréchal ou à ses gens, nous avons dit par quelles ingénieuses réponses ils mettaient fin à ces questions : encore l’audace des coupables arriva bientôt à ce point de confiance dans l’impunité, qu’ils dédaignaient même de répondre et se moquaient joyeusement des alarmes des familles.

Parmi ces femmes, on remarquait une certaine Étiennette Blanchu et surtout Perrine Martin, qui est demeurée célèbre dans nos campagnes, où son souvenir, encore vivant, demeure intimement lié à celui du seigneur de Tiffauges et de Machecoul. Elle était de Nantes : le peuple l’avait surnommée la Peliczonne ou encore la Meffraye, d’un nom strident comme le cri d’un oiseau de proie, l’orfraie. C’est d’elle que Michelet a écrit ces lignes si vivantes, si dramatiques : « Une vieille femme, qu’on appelait la Meffraye, parcourait les campagnes,

  1. Proc. ecclés., p. xxv ; acte d’accus., art. xxviii.
  2. Ibidem.