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GILLES DE RAIS.

les landes ; elle approchait des petits enfants, qui gardaient les bêtes ou qui mendiaient ; elle les flattait et les caressait, mais toujours en se tenant le visage à moitié caché d’une étamine noire ; elle les attirait jusqu’au château du sire de Rais, et on ne les revoyait plus[1]. » Rien n’est exagéré dans ce tableau. La Meffraye, par ses manœuvres, était devenue la terreur des campagnes ; partout on la voyait, dans les champs, sur les grands chemins, autour de Nantes, de Machecoul, de Tiffauges et de Champtocé. Elle avait le visage « vermeil » et portait l’âge de cinquante à soixante ans : sur son habit gris s’ajustait un mouchoir de tissu ; sur sa tête était un chaperon noir ; sur son visage tombait d’ordinaire un long voile d’étamine également noire, qui donnait de l’effroi à tous ceux qui la voyaient passer[2]. Le mystère entourait sa personne, mystère d’angoisses et de terreurs. Un jour, — c’était aux environs de la saint Jean de l’année 1440, — elle traversa Saint-Étienne-de-Montluc : dès le soir même, un bel enfant de huit à neuf ans, nommé Jean Brice, avait disparu : mais un homme vint témoigner aux juges qu’il avait vu la Meffraye parlant à l’enfant, non loin du presbytère[3]. Un certain autre soir, elle vint au Port-Launay ; comme on l’interrogea sur le but de son voyage, elle répondit qu’elle allait à Machecoul : elle menait un bel enfant par la main. Quelques jours après, comme elle repassait toute seule par le même chemin, quelques personnes lui demandèrent ce qu’elle avait fait du petit ; elle répondit qu’elle l’avait placé chez un bon maître[4]. Nantes surtout fut le théâtre habituel de ses tristes exploits. Vers le 24 août 1438[5], elle enlève et livre à son maître, à l’hôtel de la Suze, un enfant de douze ans ; le 17 juin 1438, c’est un enfant de neuf ans, de la paroisse de Sainte-Croix, qu’elle emmène à Machecoul[6] ; le 30 oc-

  1. Michelet, Hist. de France, t. V., l. c.
  2. Enq. civ., p. cxxi.
  3. Enq. civ. du 18 sept. 1440 ; dép. de Dupouez, p. cxix, cxx.
  4. Enq. civ. du 27 sept. 1440, p. cxxi.
  5. Enq. civ., dépos. de Jeanne De Grepie, femme Regnault Donete, parente de la victime, p. cxxxi, cxxxii.
  6. Enq. civ. du 2 oct. 1440, p. cxxxii.