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GILLES DE RAIS.

riaient, et quels rires ! autour des enfants meurtris, morcelés, expirants. — Romans ! dira-t-on, purs romans, faits tout exprès pour effrayer l’imagination. — Eh bien ! il faut l’affirmer : il n’y a rien là qui ne soit vrai, appuyé sur les preuves les moins contestables ; et il y a plus encore, mais il est impossible de tout raconter… L’homme s’est fait démon. « Il jouissait de la mort encore plus que de la douleur, s’écrie Michelet avec une effrayante vérité ; d’une chose si cruellement sérieuse, il avait fini par se faire un passe-temps, une farce ; les cris déchirants, le râle flattaient son oreille ; les grimaces des agonisants le faisaient pâmer de rire ; aux dernières convulsions, il s’asseyait, l’effroyable vampire, sur la victime palpitante[1] ». Ces paroles ne sont qu’un écho du procès : « Et celuy sire prenait plus grant plaisance a leur coupper ou voir coupper la gorge…… Il leur faisait couper le col, par derrière, pour les faire languir…… Il les encisait sur le coul, par derrière, pour les faire languir, ou il prenait grant plaisance[2] ». Il n’est pas nécessaire ici de grossir la vérité pour la rendre monstrueuse : telle qu’elle est, elle suffit à contenter les plus difficiles en matière d’horrible et de merveilleux. Vénus Astarté avait reparu, telle que les statues archaïques la représentent, avec les traits du type asiatique, sensuel et sanguinaire, voulant un culte mêlé de supplices et de voluptés.

Pour la vérité complète de l’histoire, on doit avertir le lecteur que l’on passe forcément sous silence certains détails d’une immoralité telle, que des juges seuls pouvaient les entendre. On n’oserait les répéter, même en citant les graves documents du procès. Tel critique, dont nous ne pouvons partager le sentiment, prétend qu’un historien ne doit rien recéler de la vérité, et que Suétone n’a pas reculé devant la peinture des infamies impériales. À ces deux raisons, il est permis de répondre par deux questions : pourquoi, lorsqu’il s’agit de

  1. Michelet, Histoire de France, l. c.
  2. Proc. civ., Conf. de Henriet, fo 374, vo.