Page:Bossard - Gilles de Rais dit Barbe-Bleue, 1886.djvu/242

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
219
VÉNUS ASTARTÉ.

certains crimes, la loi exige-t-elle le huis-clos de la justice ? et qui voudrait mettre entre les mains d’un jeune homme ces pages de Suétone ? Mais, malgré le cynisme qui souille son histoire, l’on ose dire que Suétone se serait tu sur certains détails des crimes de Gilles de Rais. Ni les saturnales de Néron et de Caligula, ni ces choses innommables, qui, au dire de Tacite, se passaient dans le palais de Tibère, à Caprée, et que cet historien ne décrit pas, n’approchent peut-être et ne donnent même l’idée de ce qui eut lieu dans la chambre à coucher de Gilles de Rais, à la Suze, à Machecoul, à Champtocé, à Tiffauges. Qu’il nous suffise de dire, en général, que, de chute en chute, Gilles se trouva un jour au fond de l’abîme, face à face avec la débauche, mais une débauche telle qu’on ne peut la dépeindre : cependant, il regarda le monstre sans pâlir ; il lui sourit et lui jeta les restes de sa jeunesse et de sa pudeur à dévorer : le monstre dévora tout. C’est assez dire, trop peut-être ; à ceux qui désireraient davantage, il faut répondre : plutôt que d’être le Suétone de Gilles de Rais, il faudrait briser ici sa plume et jeter ces feuilles au feu. Et par respect pour sa propre conscience, et par respect pour l’âme des lecteurs, il est des choses qu’on ne peut dire : on raconte qu’en entendant la confession de Gilles, les juges de Nantes, saisis d’un irrésistible mouvement de pudeur, baissèrent les yeux et voilèrent la figure du Christ ; telle est du moins la tradition : or, il ne convient pas à l’historien d’être moins réservé ni moins chaste que les juges.

Une telle débauche était l’effet d’une vie de plaisirs. Ces plaisirs qu’il cherchait, pour les yeux dans les spectacles, pour les oreilles dans les chants et la musique, il les chercha pour le goût dans le boire et le manger, avec le double dessein et de satisfaire sa gourmandise et d’exciter la volupté. On a souvent et justement remarqué le lien fatal qui existe entre ces deux vices : l’histoire de Gilles de Rais prouve, comme la raison, que la luxure est la première-née de la gourmandise. Les mets les plus rares et les plus délicats, les