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Page:Bossard - Gilles de Rais dit Barbe-Bleue, 1886.djvu/245

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GILLES DE RAIS.

impur et bourbeux, a d’étranges fascinations. Dans cet esprit mobile et violent, les impressions ne pouvaient durer longtemps. Des plaisirs indignes, de honteuses débauches succédaient à la pitié et aux larmes. Malgré ces remords, ces larmes et ces promesses, à la vue d’une nouvelle victime, la bête reparaissait, et le chien, dit le procès en s’emparant d’un mot effrayant de la Bible, retournait sans cesse à son vomissement. Ces mêmes infamies, qui étaient tout à l’heure l’objet de ses larmes, se renouvelaient dans sa chambre, attirant sur le monde, dit encore le procès, ces tremblements de terre, ces pestes, ces famines et tous ces fléaux, qui ont puni les crimes de la Sodome et de la Gomorrhe antiques : « Nichilominus, predictis juramento, voto et promissione non obstantibus, depost, predictus Egidius reus, tanquam canis ad vomitum perseverens, plures infantes… jugulavit… propter quod peccatum, secundum juris disposicionem, fiunt terre motus, fames, pestilentie super terram[1] ».

Ainsi, tout était vain dans cette âme vaine, éprise de tant de vanités. Le repentir est comme une fleur : dans la chaleur étouffante des passions, elle se flétrit, et son fruit, à peine formé, tombe par terre. Si, comme on le voit, l’âme de Gilles n’avait pas perdu toute pudeur, au moins cette pudeur qui vient du remords et qui l’engendre ; si la sève chrétienne y produisait encore de généreuses pensées, à peine écloses, le tourbillon les emportait, stériles et vaines. Au moment où le bon grain allait mûrir, un orage soudain, soulevé par le souffle de quelque mauvais génie, anéantissait l’espoir de la moisson ; et personne, malheureusement, ni son épouse, ni un ami, n’était là pour ensemencer de nouveau le champ dévasté : les seuls familiers, au contraire, qui eussent accès dans ce clos, n’y entraient que pour en arracher de leurs propres mains les derniers germes de résurrection et de vie épargnés par l’orage. Plus que ses mauvais instincts et ses passions peut-être, ce fut ce qui perdit Gilles de Rais.

  1. Proc. ecclér., Acte d’accusation, art. XXXIX, p. xxviii.