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GILLES DE RAIS.

Le maréchal, peu à peu dépouillé de ses plus belles terres, resserré chaque jour davantage dans les limites de sa puissance, conflué dans les bornes étroites de Machecoul et de Tiffauges, fut-il pris de regrets, à la pensée de ses meilleures places perdues ? Lui qui avait rêvé une puissance sans limites, qui aspirait sans cesse au moment où il pourrait refaire sa fortune, qui se flattait de voir un jour tomber devant lui les murailles les plus orgueilleuses, fut saisi de désespoir en voyant chaque coup de vent abattre un débris de sa maison[1]. Peut-être survint-il aussi entre Le Ferron et lui quelque difficulté imprévue au sujet du prix et de la vente de Saint-Étienne-de-Mer-Morte. Chacune de ces suppositions est plausible et peut-être que toutes ces causes sont vraies, s’étant toutes réunies pour pousser Gilles de Rais aux derniers excès, qui devaient marquer le terme de ses crimes. Gilles résolut d’attaquer Saint-Étienne à l’improviste et de s’en emparer les armes à la main.

Comme on l’a vu plus haut, il avait dans sa maison militaire environ deux cents hommes ; de plus, les nombreux serviteurs, dont il était entouré, pouvaient à l’occasion grossir et soutenir cette troupe ; il la fortifia encore, en enrôlant des mercenaires : il mit de la sorte sur pied de guerre une petite armée dévouée à ses ordres. C’était une révolte ouverte, au mépris du serment de fidélité qu’il avait prêté à la couronne ; c’était violer aussi cette autre loi du duché de Bretagne, qui défendait à tout baron de lever une armée et de se mettre en campagne, sans l’aveu du duc souverain[2]. Autant pour venger son pouvoir méconnu que pour servir ses intérêts, Jean V, duc de Bretagne, allait donc se trouver engagé dans la lutte contre son vassal ; enfin, par un hasard providentiel, le révolté contre l’État, le contempteur des lois bretonnes, allait devenir un révolté contre l’Église, un contempteur des lois ecclésiastiques. Dès lors, s’unissaient contre lui les deux puissances suprêmes de l’époque, l’Église et l’État : l’Église

  1. Loc. citat.
  2. Proc. civ., fo 368, ro.