Page:Bossard - Gilles de Rais dit Barbe-Bleue, 1886.djvu/256

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
233
DOUBLE RÉVOLTE.

heureuse de venger les droits méconnus de la faiblesse en protégeant ses privilèges ; le duc, heureux, selon la pensée de Mézeray, de venger ses injures et de sauvegarder ses intérêts en vengeant celles de Dieu. Voici donc ce qui se passa à Saint-Étienne-de-Mer-Morte, dans la matinée du jour de la Pentecôte 1440.

C’était vraisemblablement vers dix heures et demie du matin : tout le peuple se trouvait rassemblé dans l’église paroissiale pour entendre la messe. Jean Le Ferron avait quitté le château pour assister comme les autres au saint sacrifice ; près de lui, non loin du chœur, se trouvait Guillaume Hautrays, venu au nom du duc de Bretagne pour enjoindre aux habitants de la seigneurie, au sortir de la grand’messe, de refuser tout impôt et toutes redevances à Gilles de Rais. Tout était donc désert dans la ville et autour du château. On s’explique ainsi comment le maréchal, avec sa petite troupe, put arriver sans être aperçu jusqu’à un petit bois, situé à quelques portées d’arbalète du château. Il y cacha cinquante à soixante hommes, revêtus de leurs armes, la tête couverte d’un capuchon, prêts, au moindre signal, à s’élancer en avant et à s’emparer de la place par surprise. Lorsque toutes ces précautions furent achevées, il commanda à Gilles de Sillé, à Bertrand Poulein et à quelques autres de ses hommes d’armes, de le suivre, leur seule épée à la main : lui-même tenait une jusarme dans sa main droite. La tête découverte, le front haut, le regard plein de colère, il s’avance, passe le long des murs du château et marche droit à l’église paroissiale. La messe touchait à sa fin ; la communion du prêtre venait d’avoir lieu ; à leurs places, Jean Le Ferron et Guillaume Hautrays, pieusement à genoux, priaient : tout à coup, la porte de l’église s’ouvre avec fracas ; le peuple s’agite, et la messe est interrompue par un grand vacarme : Gilles de Rais, le terrible baron, la terreur du pays, suivi de soldats, traverse les rangs tumultueux de la foule ; il brandit sa jusarme ; la colère sort de ses yeux ; il se précipite, le visage menaçant, sur Jean Le Ferron