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Page:Bossard - Gilles de Rais dit Barbe-Bleue, 1886.djvu/274

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SON ARRESTATION.

Résister pendant quelque temps, n’était pas impossible, assez longtemps du moins pour favoriser sa fuite ; mais fuir, c’était se reconnaître coupable ; et, d’ailleurs, l’éclat de son nom et de sa fortune ne lui permettrait pas de se cacher longtemps aux regards des hommes. Toutefois, une résistance à main armée ne ferait qu’accroître la révolte ; et il se flattait d’échapper au châtiment par une soumission facile et une amende pécuniaire. Qu’avait-il à craindre de la justice, dont s’épouvante le commun des criminels ? Il était haut justicier dans ses domaines, et, dans sa pensée, il ne relevait que de lui-même ; il était suffisamment protégé d’ailleurs par de puissantes amitiés, par un nom et un passé glorieux ; nul n’oserait l’attaquer ni dévoiler ses crimes ; et ces crimes mêmes, qui les connaissait ? La nuit et le silence ne parlent pas, non plus que la flamme éteinte, non plus que les vents et les flots assoupis, non plus que les lèvres fermées par les plus terribles serments. Bien loin de redouter donc la publicité des débats judiciaires, il avait lieu d’espérer, qu’ils feraient évanouir tous les soupçons, en faisant éclater : son innocence : cette innocence enfin, malgré sa ruine, il avait assez d’argent pour la payer : « Rais, dit Michelet, qui sans doute eut pu fuir, se crut trop fort pour rien craindre et se laissa prendre. « Cela ressort clairement des premiers débats du procès ecclésiastique, de l’attitude du maréchal devant les juges durant les premiers jours, et des défis jetés à la vérité de paraître à la lumière. Par orgueil donc, par politique, par bravade, il crut qu’il valait mieux se livrer aux mains des archers et il se rendit sans coup férir.

Il fait abaisser le pont-levis et ouvrir les portes du château, et il s’avance lui-même au-devant du capitaine, qu’il reconnait : « J’avais toujours eu le dessein, dit-il en se tournant vers ses gens inquiets, comme pour les rassurer par la tranquillité apparente de son âme, j’avais toujours eu le dessein de me faire moine : or, voici venir l’abbé sous lequel je dois m’engager[1] ; » et, satisfait de l’esprit dont il venait de faire

  1. Bibl. Jacob, Procès célèbres, Paris, 1858, p. 14.