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Page:Bossard - Gilles de Rais dit Barbe-Bleue, 1886.djvu/276

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SON ARRESTATION.

peinte sur tous les visages ; les malédictions s’échappent de toutes les lèvres ; à la bonne nouvelle de cette arrestation, la foule est accourue de Machecoul et des environs ; l’espérance fait battre tous les cœurs, et la justice, si impatiemment attendue, paraissant enfin, implacable et vengeresse, mêle les bénédictions aux larmes.

C’est au milieu des agitations et des commentaires de la foule curieuse, que la petite troupe de Jean Labbé s’éloigna de Machecoul avec ses prisonniers. Partout, sur son passage, à la nouvelle que cette troupe, qui allait vers Nantes, conduisait le seigneur de Rais pour y être jugé et puni de ses crimes ; et dans toute la contrée d’alentour, quand cette nouvelle eut gagné les villes, les bourgs et les hameaux, il y eut un moment de cette stupeur qu’on ressent à la fin de l’orage ; puis, ce fut comme un grand soulagement des poitrines oppressées. Dès le soir même, dans les murs de Nantes, où il avait si souvent étalé son faste royal, entre deux haies de peuple accouru de toutes les parties de la ville, au milieu des sentiments divers de la foule, Gilles, baron de Rais, seigneur de Laval, maréchal de France, lieutenant général des armées de Bretagne ; Gilles, le compagnon de Jeanne d’Arc et du connétable de Richemont, le conseiller et l’ami de Charles VII ; Gilles, le plus cruel et le plus infâme des hommes qui ont paru dans le monde ; Gilles

    légal, en personne, qu’en cachant sa qualité et risquant d’autant plus sa vie. Il fallait qu’il pénétrât comme marchand, comme valet ; il fallait que sa figure ne le fit point deviner ; qu’il eût mine plate et bonasse, dos de fer et cœur de lion. Ces gens-là étaient, je le sais, puissamment encouragés par cette ferme croyance que chaque coup leur reviendrait en argent ; mais cette foi au tarif ne suffit pas pour expliquer, en tant d’occasions, ces dévouements audacieux, cet abandon de leur vie. Il y a là aussi, si je ne me trompe, le fanatisme de la loi *. »

    Sans vouloir déprécier le courage de maître Robin Guillaumet et des huissiers du xve siècle, ce n’était pas à propos de l’arrestation de Gilles de Rais qu’il convenait de nous tracer ce portrait « de l’homme en jaquette noire, au dos de fer et au cœur de lion, dont le dévouement n’était que le fanatisme de la loi » : cet idéal ne trouve point ici sa réalité ; j’ignore même si elle existe nulle part.

    *Hist. de France, t. V, p. 406, 407.