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Page:Bossard - Gilles de Rais dit Barbe-Bleue, 1886.djvu/33

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GILLES DE RAIS.

la naissance et par la fortune, l’un des principaux seigneurs de son pays : « C’était, dit-on, un seigneur d’un bon entendement, belle personne et de bonne façon, et appréciant fort ceux qui parlaient avec élégance la langue latine[1]. » Ces traits nous peignent bien le caractère de cet homme, qu’une ambition démesurée de briller tourmente sans cesse ; ouvert naturellement à toutes les belles choses ; capable de devenir un héros, s’il avait eu de la modération dans les désirs ; et qui se transforma si vite en scélérat, pour n’avoir pas eu la sagesse ni le courage de mettre un frein à ses passions. Durant tout le cours de sa vie, mais particulièrement pendant les dernières années, à Orléans, dans les représentations théâtrales ; à Champtocé, où la tradition le montre penché sur la lecture malsaine d’un Suétone ; à Machecoul, à La Suze, à Tiffauges surtout, où on le trouve entouré de tous les arts, réunissant autour de sa personne, par ses folles prodigalités les savants et les artistes, toutes les magnificences de l’époque ; on découvre en lui une intelligence remarquable, un amour de la science et un goût du théâtre, qui allèrent, comme on le verra dans la suite de cet ouvrage, jusqu’aux plus étranges dérèglements de la curiosité et du crime. Le beau surtout le charmait ; il y trouvait, à dire le vrai, un aliment à son ambition ; mais il était aussi poussé vers lui par un attrait naturel, qui se manifeste en tout : il a par ce côté, des traits communs avec le jeune duc d’Anjou, René, roi de Sicile, qui débuta près de lui dans les arts et dans la guerre. Peinture, livres précieux, manuscrits, enluminures, tentures de soie, draps d’or, vases sacrés enrichis de pierreries, harmonies de la musique, splendeurs de l’office divin, théâtre, sciences mystérieuses, rien n’est en dehors de ses goûts ni de ses folies, source de ses crimes.

Il lisait avec avidité tous les livres de science qui lui tombaient sous la main ; il composait ou faisait composer des

  1. Michelet, t. V, p. 210.