Aller au contenu

Page:Bossard - Gilles de Rais dit Barbe-Bleue, 1886.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
11
SON ÉDUCATION.

pièces de théâtre ; et son procès le montre à Machecoul et à Tiffauges, dans son cabinet, occupé à écrire ou à peindre, déterminant lui-même, la plume à la main, les règles d’une collégiale, et composant un traité sur l’art d’évoquer les démons. Chose vraiment curieuse ! protecteur des arts, il ne se contentait pas de les payer : il les cultivait lui-même. Ne le voit-on pas, à Machecoul, faisant admirer à ses amis les émaux dont il enrichissait lui-même ses livres et divers objets d’art… « Quem idem Egidius conscribebat incausto[1] ? » Voilà bien l’homme que nous retrouverons, épris du désir de tout savoir, même dans le mal. Contrairement aux seigneurs de l’époque précédente, il lit et parle parfaitement la langue latine ; sensible même à l’élégance et à l’harmonie du langage, les plus intimes d’entre ses familiers sont ces Italiens, dont le beau parler latin et les mœurs polies le ravissent d’admiration. De ces données précieusement recueillies, et d’après cette intuition que donnent de ses goûts pour l’art et la littérature ses actes et ses enthousiasmes, on avait insinué, mais sans preuves positives, que Gilles de Rais avait sa bibliothèque, où, par vanité non moins sans doute que par amour de la science, il s’était plu à réunir les livres les plus rares, enrichis des plus merveilleuses créations de l’art ; et l’insinuant, on avait la conviction intime d’être dans la vérité. L’on disait vrai en effet ; mais on était loin de penser que les preuves arriveraient un jour, aussi sûres que précieuses : sûres, car elles viennent, à n’en pas douter, de documents contemporains du maréchal ; précieuses, car elles font juger à la fois de l’influence des lettres à cette époque et de la formation littéraire de Gilles de Rais[2].

Il est hors de doute que Gilles de Rais avait une bibliothèque choisie. Les œuvres qu’il y avait rassemblées au prix de l’or, représentaient des sommes considérables, égales, aux yeux de tous, lettrés, grands seigneurs, ou marchands, aux objets

  1. Encaustum : Materia inusta ad pingendum opta, d’après Ducange (émail).
  2. Documents d’Orléans. (V. l’Avant-propos et les Pièces justificatives.)