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Page:Bossard - Gilles de Rais dit Barbe-Bleue, 1886.djvu/361

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GILLES DE RAIS.

expiation de ces huit dernières années, qui avaient été les saturnales de la débauche[1].

Nous n’avons pu interrompre ce simple et touchant récit. En terminant, il nous sera permis de dire que nous n’imaginons rien de plus dramatique ni de plus émouvant que la catastrophe, qui termine une vie si singulière. Il nous est arrivé souvent, dans le cours de cette histoire, de voir surgir, à côté de Gilles de Rais, la figure de Néron, avec qui il offre des traits visibles de ressemblance. Jusque dans leur mort, leur vie offre une analogie frappante ; car les coups imprévus et terribles qui mettent un terme à leurs excès, sont des plus étonnants qui aient jamais atteint de grands coupables. Mais la fin de Gilles de Rais l’emporte en grandeur et en émotion sur les derniers instants du César. Qu’on lise l’inimitable et tragique récit de Suétone ; qu’on suive Néron jusqu’à la demeure marécageuse de son esclave Phaon, où il pénètre seul, sans témoins, rampant à travers les ronces et les roseaux ; qu’on assiste à ses velléités et à ses craintes de mourir : sa lâcheté n’émeut pas, et son dernier mot, resté si célèbre : « Qualis artifex pereo ! Quel artiste meurt en moi ! » fait sourire de pitié pour ses préoccupations vaniteuses. Gilles de Rais, marchant avec courage au supplice, acceptant l’expiation comme moyen de se purifier de ses souillures, parlant à ses compagnons de repentir et de regret de leurs crimes, mourant le premier pour leur apprendre à le faire sans faiblesse, criant miséricorde à Dieu et demandant pardon aux hommes, remettant son âme à son Juge suprême, affermi qu’il est dans son espérance par la certitude qu’il a de la bonté divine ; en présence enfin de tout un peuple qui ne se souvient de ses larmes que pour pardonner à celui qui les a fait couler : voilà un spectacle qui n’a point d’égal dans l’histoire.




  1. Il est curieux de lire le récit de l’exécution de Jeanne d’Arc en comparaison avec le récit de la mort de Gilles de Rais. V. M. Wallon, Hist. de Jeanne d’Arc, II, p. 284, etc.