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Page:Bossard - Gilles de Rais dit Barbe-Bleue, 1886.djvu/374

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ÉTAIT-IL FOU ?

adoptée, sur la foi de ce document, par d’Argentré, Dom Lobineau, Dom Morice et Désormeaux[1] : soit que ces historiens aient voulu ménager l’honneur d’une illustre famille ; soit qu’ils n’aient pu concevoir autrement une telle dégradation dans un homme de ce rang et de cette intelligence. Mais il est important de remarquer que les affirmations de la famille n’ont pas été écoutées et que les conclusions du Mémoire des héritiers ont été combattues par les ducs de Bretagne et finalement rejetées par le parlement. Sur quoi sont-elles établies, en effet ? Une seule chose fait le fond de ce document, si précieux à divers titres : « Pour s’être livré à des prodigalités et à des dépenses sans nom, Gilles de Rais était évidemment « de petit sens et de faible entendement, » Mais il n’y a rien en cela qui démontre qu’il ait été fou : les prodigues ne sont pas rares, qui se ruinent sans être fous au sens véritable du mot, c’est-à-dire irresponsables de leurs actes. Il est vrai qu’on ajoute, sur la foi du Mémoire, qu’on le voyait parfois sortir seul de son hôtel ou de ses châteaux, errer à l’aventure et courir dans les rues ou dans les campagnes de Nantes, de Machecoul et de Tiffauges. Mais que prouvent ces extravagances, moins incompréhensibles encore que ses crimes ? Que, surexcité par les abus de la table ; ivre au sortir de l’orgie nocturne ; ébranlé par le plaisir, bourrelé de remords, il ait eu des moments de fureur ou d’incohérence dans les idées et la conduite, rien n’est plus vraisemblable ; l’on ose presque dire que c’était inévitable. Mais tirer de ces faits un argument en faveur de l’irresponsabilité de ses actes, serait aussi peu logique que contraire à la vérité de l’histoire : car, pour celui qui examine sérieusement les choses, il demeure évident qu’on ne peut l’excuser par la folie.

Ses passions, sans doute, étaient cette impétuosité et ces extravagances que le langage ordinaire taxe quelquefois de démence. En ce sens, assurément, Gilles était fou ; il l’était comme Néron, comme Caligula, comme Marat ou comme

  1. Hist. de la maison de Montmorency, t. I, p. 125.