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ORIGINE DU CONTE.

persuadés qu’il n’a pas été chercher si loin de lui ; cela ne nous apprend pas de quelle source ces récits eux-mêmes découlent, et, après les clefs mystérieuses, après les chambres secrètes, après les barbes bleues ou noires, après les égorgeurs de femmes, allemands, italiens, écossais, nous en sommes encore à nous demander : quelle est donc l’origine de cette terrible histoire de Barbe-Bleue ?

Car on veut qu’à l’origine de ce conte il y ait un fait historique, dont le fond, remanié au gré du caprice des âges, est devenu si différent de lui-même qu’il en est méconnaissable. « Ôtez au héros, dit-on, la couleur de sa barbe et à la petite clef sa vertu révélatrice ; faites que le terrible mari découvre par un moyen naturel la désobéissance de sa femme, et vous aurez encore une histoire très émouvante. » Quel fut donc à l’origine le fait historique, qui donna naissance au conte ? Nous n’espérons pas le découvrir. Aussi bien, pourquoi voudrait-on qu’il ait existé, tel au fond que l’a brodé la main de cette fée capricieuse, qu’on nomme l’imagination populaire ? Un homme n’a-t-il pu se rencontrer, si cruel, si mauvais, si corrompu ; qui épouvanta à tel point les peuples d’une contrée qu’on peut justement appeler la terre classique du conte et de la légende ; un homme qui par ses crimes ait produit sur l’esprit de ses contemporains une telle impression de terreur, que le souvenir en soit resté vivant dans la mémoire de leurs enfants ? un homme auquel l’imagination, troublée pendant des siècles par l’évocation incessante de son spectre effrayant, ait prêté les formes les plus terribles, dont l’une enfin a prévalu sur toutes les autres ? Nous le croyons. On ne saurait mettre le doigt sur la tête, où est éclos le conte recueilli par Perrault ; mais qu’importe cet auteur, nourrice, vieillard ou poète ? Nous pouvons indiquer le pays d’où il s’est répandu dans le monde entier ; nous pouvons nommer l’homme que le peuple a immortalisé par un nom qui ne passera jamais de son souvenir. Dans le pays, en effet, dont il fut la terreur, toutes les autorités, l’histoire, la poésie, c’est-à-dire les traditions écrites, — et surtout les traditions orales,