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COMPAGNON DE JEANNE D’ARC.

aux premiers rangs de l’armée  : or, après comme avant, l’on ne voit pas qu’il ait usé de son pouvoir contre la Pucelle,

    et à la belle-mère de Charles VII, Yolande d’Aragon, duchesse d’Anjou. On dirait dans cette lettre que les auteurs furent surtout préoccupés de signaler le rôle des sires de Laval au sacre de Charles VII. Elle nous apprend, en effet, plusieurs détails importants sur ces deux gentilshommes ; or, ils nomment parmi les pairs « les jeunes seigneurs de Laval »; c’est peut-être sur ce passage que le P. Daniel et Désormeaux ont appuyé leur assertion. On pourrait en trouver la preuve dans leurs paroles, lorsqu’ils disent que Gilles de Rais fut élevé, ce jour-là, à la dignité de comte **. Mais il ne faut l’entendre que de la baronnie de Laval, par la raison que celle de Rais ne fut érigée en comté que bien des années après la mort de Gilles de Rais.

    Ces auteurs sont plus sûrement dans le vrai en racontant qu’il fut élevé dans cette circonstance à la haute dignité de maréchal de France. Le maréchal de la Fayette était absent, comme le connétable de Richemont, par suite d’une disgrâce. Gilles de Rais, qui, depuis le commencement de la campagne, s’était distingué parmi tous les autres capitaines, fut promu à cette haute charge, « à cause de sa valeur, » dit Monstrelet, et remplaça le maréchal de la Fayette à la cérémonie du sacre : il avait vingt-cinq ans à peine. Mais il était brave ; de plus il était fort riche, et par le luxe, qu’il aimait à étaler en toute occasion, digne de représenter l’armée à la cérémonie du sacre. Les historiens ne s’entendent pas sur l’époque où Gilles fut promu au grade de maréchal de France. Nous ne parlerons, que pour en faire mémoire, de l’opinion de Du Paz **, d’après lequel Gilles n’aurait été créé maréchal qu’en 1433, après la mort du maréchal de Rieux. À moins de prétendre que tous les historiens et tous les documents soient dans l’erreur, lorsqu’ils mettent sur le compte du maréchal de Rais ce qui, en réalité, serait le fait du maréchal de Rieux, l’opinion de Du Paz est inadmissible. M. Armand Guéraud, dont la courte notice sur le maréchal de Rais a fourni maintes assertions aux historiens contemporains, recule jusqu’au commencement de l’année 1428 la promotion de Gilles au grade de maréchal, et il en donne cette preuve que, privé de l’appui du connétable par la disgrâce du comte de Richemont, le roi voulut au moins s’associer le puissant baron de Rais, et, en lui conférant la dignité de maréchal, l’empêcher de s’éloigner de la cour de France. Il va plus loin encore et voit dans le rôle de Gilles, pendant les sept mois du siège d’Orléans, pendant l’expédition de Jeanne d’Arc sur les bords de la Loire, et jusqu’à Reims, la marque d’un pouvoir élevé et d’une autorité supérieure, qui font croire que les historiens ne lui donnent pas sans motif, dès cette époque, le nom de « maréchal de Rais. »

    Mais toutes ces raisons n’ont aucune force contre un témoignage précis, et l’on n’écrit pas l’histoire en sautant par-dessus les affirmations les plus nettes, pour les subordonner à de simples preuves de convenance et à des suppositions hasardées. La lettre des trois gentilshommes angevins, dont nous avons déjà parlé plus haut, dit en termes très précis et très clairs : « Aujourd’hui ont été faitz par le roy contes les sires de Laval et le sire de Sully, et Rays mareschal ***. » Il serait oiseux de faire ressortir la force de ce témoignage,