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GILLES DE RAIS.

d’Arc, avec son grand bon sens, savait, dans le conseil, discerner ses fidèles de ses ennemis ; il est à croire qu’elle savait démêler, dans l’armée, les capitaines qui lui étaient dévoués de ceux qui lui portaient envie ; certes, en allant à l’attaque des murs de Paris, au moment même où le roi et la Trémoille étaient manifestement opposés à son dessein de se porter sur cette ville, elle n’eût pas volontiers pris comme aide un adversaire, allons encore plus loin, un indifférent[1]. Cet ennemi secret de ses conseils et de ses actes ne se serait pas exposé toute une journée aux traits de l’ennemi, dans les fossés de Paris, pendant que ses complices, dans la plaine de Saint-Denis, étaient prudemment à l’abri de tous les coups. N’était-il pas de ces capitaines qui, le lendemain, retournant sur Paris tout joyeux et pleins d’une ardeur nouvelle pour recommencer l’assaut, subitement rappelés par un ordre impérieux du roi, laissèrent vivement éclater leur mécontentement et se retirèrent la mort dans l’âme[2] ?

Tel enfin Gilles de Rais a paru dans toutes ses campagnes avec Jeanne d’Arc, qu’il a fait supposer, à des esprits fort graves, — et c’est déjà un grand honneur pour sa mémoire, — que sa présence à Louviers avait rapport avec quelque tentative pour délivrer Jeanne prisonnière. Pendant ce temps, on sait ce que pensaient, ce qu’écrivaient ses ennemis véritables : sa prise était une juste punition de son orgueil ! Superstitieux à l’excès, surtout vers la fin de sa vie, Gilles paraît avoir subi plus qu’aucun autre l’influence du merveilleux, dont la vertu sortait de la sainte envoyée de Dieu ; lorsque la fausse Pucelle se montra, le peuple, qui ne pouvait croire que Jeanne fût morte, se

  1. La Pucelle, de Rais, et de Goncourt, qu’elle prit avec elle, « ce qui bon lui sembla, » s’avancèrent jusqu’à la porte Saint-Honoré. Le combat fut rude et prolongé ; « et c’était merveille d’ouyr le bruit et la voix des canons et couleuvrines, que ceux du dedans jetaient à ceux du dehors ; et de toute manière de traict à si grant planté comme innombrable. » Gilles demeura près de la Pucelle « tout iceluy jour » dans l’arrière-fossé et sur le bord de l’eau, où elle fut grièvement blessée. (Procès, t. IV, 197-199.)
  2. Procès, t. IV, p. 27 ; Wallon, t. I, p. 296.