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COMPAGNON DE JEANNE D’ARC.

figura qu’elle avait miraculeusement échappé au bûcher ; or, Gilles de Rais apparaît parmi les soutenants de la Pucelle sauvée[1].

  1. Le peuple ne pouvait croire que la Pucelle eût été réellement brûlée à Rouen ; elle s’était échappée des flammes ; elle reparaîtrait quelque jour pour achever son œuvre, la défaite des Anglais. (Procès, IV, p. 344, 474, 532.) Le peuple a souvent de ces illusions sur le sort de ses héros : on connaît les légendes d’Arthur et de Roland, et parmi les soldats de Napoléon, combien ne croyaient pas à la réalité de sa mort ? Il en fut de même pour Jeanne d’Arc. Ainsi s’explique le succès de la fausse Pucelle, Jeanne des Armoises. Elle « moult ressemblait à la première, » (Pierre de Sala) et se disait Jeanne, suscitée de Dieu. Certaines choses merveilleuses, qu’elle avait accomplies, firent croire à sa parole. Bien venue dans la Lorraine et dans la famille même de Jeanne la Pucelle, elle est reçue et entretenue avec honneur dans la ville d’Orléans (1436, 1438, 1439) ; en 1439, on cesse même dans cette ville de célébrer le service anniversaire pour le repos de l’âme de la jeune martyre, parce qu’elle avait reparu ; on lui rend les plus grands honneurs « pour le bien qu’elle a fait à la dicte ville durant le siège » (compte de la ville d’Orléans) ; il serait curieux de pouvoir constater qu’elle a joué le rôle de Jeanne d’Arc dans la représentation qui fut donnée du Mystère du Siège ; les frères de Jeanne la Pucelle, qui avaient déjà reconnu Jeanne des Armoises pour leur sœur en Lorraine, viennent la rejoindre à Orléans, et croient ou affectent de croire à la réalité vivante de leur sœur. Si, à Chinon, Charles VII découvre la supercherie, et si, malgré l’entrevue avec le roi, on la retrouve encore au milieu de l’armée, c’est à penser que le désir de se servir du nom et du prestige de Jeanne la Pucelle, a porté Charles à taire la vérité. Toujours est-il qu’elle fut attirée vers Gilles, qui la reçut avec honneur et avec une certaine foi, puisqu’il lui confia le commandement de ses troupes. Mais le prestige dure peu où la mission n’est pas. Il s’aperçut enfin lui-même de la vérité, ou plutôt du mensonge, et, en 1439, il lui enleva le commandement de ses troupes pour le donner à Jean de Siquenville, l’un de ses capitaines, lors de l’attaque du Mans. C’est ce que nous lisons, en effet, dans des lettres de rémission, accordées plus tard à ce même capitaine. On y trouve que « le sire de Rais dit à ce capitaine, escuyer de Gascogne, qu’il voulait aller au Mans et qu’il voulait qu’il print la charge et le gouvernement des gens de guerre, que avait lors une appelée Jehanne (des Armoises), qui se disait Pucelle, en lui promettant que s’il prenait ledit Mans-, qu’il en serait cappitaine ; lequel suppliant, pour obéir et complaire au sire de Rais, son maître, duquel il était homme à cause de sa femme, lui accorda et prinst ladite charge, et se tint pour un certain temps autour du pays de Poitou et d’Anjou… » (Procès, t. V, p. 333. Extrait d’une rémission du Trésor des Chartes.) À Paris, le peuple, qui l’acclame d’abord, peut se convaincre bientôt qu’il y a quelques différences entre la Vierge de Domrémy et la femme de Robert des Armoises (août 1440). Elle passa en Italie, combattit dans les armées du Pape, et revint en France, où elle vivait encore, en février 1458, en Anjou, aux environs de Saumur.

    (Sur la Fausse Pucelle, v. les documents réunis par M. J. Quicherat, Proc., t. V, p. 321 et suiv. ; Lecoy de la Marche, Une fausse Jeanne d’Arc ; Revue des Questions historiques, 1871 ; Wallon, t. II, 308 et suiv. ; Appendice XXIII.)