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Page:Bossard - Gilles de Rais dit Barbe-Bleue, 1886.djvu/96

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SES EMPRUNTS.

pas. Encore son imprévoyante générosité lui enlevait souvent à lui-même ces dernières ressources ; car il donnait sans discrétion, à l’un, le revenu des blés ; à l’autre, celui des vins ; à un troisième, enfin, les rentes d’une terre pour une année ou deux : tellement et si bien qu’il était réduit lui-même à emprunter le blé et le vin indispensables à sa vie, ou à vendre terres et rentes pour se procurer le nécessaire[1].

Il empruntait de tous ceux qui voulaient bien lui prêter, des marchands, des hôteliers, des seigneurs, des bourgeois, et, chose incroyable ! de ses serviteurs et de ses amis eux-mêmes, enrichis de ses propres dépouilles ; en sorte que les dons qu’il faisait, entre les mains de ces hommes reconnaissants se transformaient, par un retour coupable, en prêts ruineux pour celui qui les avait fournis. Jacques Boucher, bourgeois et intendant d’Orléans, lui avança des sommes énormes ; Roger de Bricqueville, Gilles de Sillé, Petit-Jean, et bien d’autres personnes de sa maison, le tirèrent souvent d’embarras dans les circonstances critiques, avec l’espoir assuré de lui faire payer cher plus tard les services qu’ils lui avaient rendus. Le plus souvent il achetait à crédit, mais le tiers ou la moitié plus que les choses ne valaient : c’était la condition du crédit. D’ailleurs, des ventes qu’il faisait lui-même, il ne touchait presque rien ; tout passait aux mains de ses amis et de ses serviteurs ; ou, s’il en arrivait quelque reste jusqu’à lui, il coulait entre ses doigts comme de l’eau. Il n’était pas rare qu’il acceptât en payement des draps de laine, des pièces de soie, dont il avait besoin ; des chevaux, des harnais, des pelleteries, de la vaisselle d’argent, des bagues et des joyaux, ce qui était nécessaire à sa table : toutes marchandises qu’on lui vendait une ou deux fois plus que leur valeur réelle. Puis, comme la passion est naturellement capricieuse dans un jeune homme, il se dégoûtait le lendemain de ce qui lui avait plu la veille et revendait tous ces objets au rabais, n’en retirant même pas souvent le tiers de ce qu’ils lui avaient coûté. Acheter fort cher, et revendre à

  1. Mémoire des Héritiers, fo 9, vo.