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Page:Bossuet - Discours sur l’Histoire universelle, 1681.djvu/177

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en mesme temps plus voraces et plus sanguinaires. Avant le temps du deluge, la nourriture que les hommes prenoient sans violence dans les fruits qui tomboient d’eux mesmes, et dans les herbes qui aussi-bien sechoient si viste, estoit sans doute quelque reste de la premiere innocence, et de la douceur à laquelle nous estions formez. Maintenant pour nous nourrir il faut répandre du sang malgré l’horreur qu’il nous cause naturellement ; et tous les rafinemens dont nous nous servons pour couvrir nos tables suffisent à peine à nous déguiser les cadavres qu’il nous faut manger pour nous assouvir. Mais ce n’est là que la moindre partie de nos malheurs. La vie déja racourcie s’abrege encore par les violences qui s’introduisent dans le genre humain. L’homme qu’on voyoit dans les premiers temps épargner la vie des bestes, s’est accoustumé à n’épargner plus la vie de ses semblables. C’est en vain que Dieu défendit aussitost aprés le deluge de verser le sang humain ; en vain, pour sauver quelque vestige de la premiere douceur de nostre nature, en permettant de manger de la chair des bestes, il en avoit réservé le sang. Les meurtres se multiplierent sans mesure. Il est vray qu’avant le deluge Caïn avoit sacrifié son frere à sa jalousie. Lamech sorti de Caïn avoit fait le second meurtre, et on peut croire qu’il s’en fit d’autres aprés ces damnables