Page:Bossuet - Discours sur l’Histoire universelle, 1681.djvu/528

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partie s’y estoient introduits avec le temps. Carthage a toûjours aimé les richesses ; et Aristote l’accuse d’y estre attachée jusqu’à donner lieu à ses citoyens de les préferer à la vertu. Par là une république toute faite pour la guerre, comme le remarque le mesme Aristote, à la fin en a negligé l’exercice. Ce philosophe ne la reprend pas de n’avoir que des milices étrangeres ; et il est à croire qu’elle n’est tombée que long-temps aprés dans ce defaut. Mais les richesses y menent naturellement une république marchande : on veut joûïr de ses biens, et on croit tout trouver dans son argent. Carthage se croyoit forte, parce qu’elle avoit beaucoup de soldats, et n’avoit pû apprendre par tant de révoltes qu’elle avoit veû arriver dans les derniers temps, qu’il n’y a rien de plus malheureux qu’un estat qui ne se soustient que par les etrangers, où il ne trouve ni zele, ni seûreté, ni obéïssance.

Il est vray que le grand genie d’Annibal sembloit avoir remedié aux defauts de sa république. On regarde comme un prodige, que dans un païs étranger, et durant seize ans entiers, il n’ait jamais veû, je ne dis pas de sedition, mais de murmure dans une armée toute composée de peuples divers, qui sans s’entendre entre eux s’accordoient si bien à entendre les ordres de leur général. Mais l’habileté d’Annibal ne pouvoit pas soustenir Carthage, lors qu’attaquée dans ses murailles par un général comme Scipion,