Page:Botrel - Le Mystere de Keravel.djvu/11

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Robert. — Tu me l’as pourtant bien juré, Henriot, d’être doux et indulgent à tous.

François. — Eh bien ! quoi ? Qu’as-tu à me reprocher ?

Robert, souriant. — Tu n’es qu’une mauvaise tête !…

François — Non, tête dure, oui, tête de Breton, quoi, mais pas mauvais au fond, or, tu sais le proverbe : mieux vaut tête de fer que cœur de granit…

Robert. — Ce n’est pas pour moi que tu dis cela, j’espère ? pour moi qui t’ai recueilli, mon pauvre frère, toi le déserteur, le maudit, l’oublié, revenant d’Océanie en haillons, déchirés aux ronces de tous les pays, las d’avoir été secoué par tant de vagues et de bourrasques. Tu m’as supplié de te pardonner, de te garder ici comme le dernier des serviteurs, disais-tu… et, puisque pour tous, désormais, Henry de Kéravel était mort, je t’ai offert une place tranquille près de moi. Sous le nom de François, tu passes pour mon intendant. J’ai eu confiance en toi, je t’ai chargé du soin de mes biens (de nos biens, en somme, après tout), mais n’oublie pas la promesse, amende-toi ! deviens meilleur. À présent, les Kéravel habitent tous sous le toit de leurs pères. Autour de moi, demeuré veuf avec mon petit Yvon, j’ai groupé tout ce qui me reste de famille : mon bon frère Jean et toi, Henriot. J’en suis heureux. Mais toi, tu ne l’es pas, je le sens ! Voyons, que te manque-t-il ?

François. — L’aventure ! J’ai du sang de corsaire dans les veines, tu le sais.

Robert. — Moi aussi. Mais les temps sont changés. Le calme d’un bon nid n’est-il pas préférable ?

François. — J’aime mieux la mer.

Robert. — Tu la vois d’ici.

François. — Oui… Un supplice de Tantale. J’aimerais mieux ne pas la voir. Écoute, on dirait qu’elle m’appelle…

Robert. — Poète, va ! chemineau des mers … L’Océan est un monstre avide et redoutable, le monstre de la