Page:Boué -Le Roi des aventuriers, 1932.djvu/21

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
Feuilleton du COURRIER DE SION
— 11

Au lieu de répondre, le majordome recula en roulant des yeux effarés.

— Eh bien ! qu’avez-vous !? lui demanda sévèrement le chevalier.

Le majordome montra du doigt la poignée de l’arme sur laquelle étaient inscrits en caractères dorés ces trois mots : « La Sainte-Vehme ».

— C’est la menace des Francs-Juges ! balbutia-t-il d’une voix tremblante, ce poignard fiché dans le bois, Monsieur le comte, c’est une déclaration de guerre.

— Ah ! Ah ! s’écria le chevalier, les yeux flamboyants de colère, ah ! c’est une déclaration de guerre ! Eh bien ! voici ma réponse !

Et, arrachant d’une panoplie de son cabinet une ancienne rapière d’une longueur démesurée, il la cloua dans le pupitre à un doigt du minuscule poignard.


Les ennemis invisibles


À partir de ce jour, les événements se précipitèrent, à la plus grande joie du chevalier qui revivait sa jeunesse d’aventures et revoyait la mort en face à toute heure. Oui, il se réjouissait de revivre enfin une vraie vie mouvementée et périlleuse.

Les dangers se multipliaient sous ses pas. Le lendemain du jour où il avait relevé le défi des Compagnons de la Sainte-Vehme, le moteur de son auto fit explosion. Il s’en tira indemne, en souriant. Rentré chez lui, il fit asséner, comme au beau temps de jadis, cent coups d’étrivières à son chauffeur et il le congédia.

Le soir même, traversant à pied le boulevard des Italiens, il faillit être écrasé par une limousine. Il eût voulu faire arrêter les occupants ; mais le gardien de la paix se borna à leur dresser procès-verbal pour excès de vitesse.

Le chevalier réprima lui-même cet abus en cravachant un des personnages qui se trouvait dans la voiture. Le lendemain matin, les deux hommes se retrouvèrent sur le terrain. L’adversaire du chevalier d’Arsac s’appelait le duc de Latour. Le duel eut dieu au pistolet, sans résultat. ! Oui, sans résultat ! C’était la première fois de sa vie que d’Arsac ne tuait pas son adversaire et pourtant il n’avait jamais tiré d’une main plus sûre, il soupçonna quelqu’un d’avoir truqué les armes ; mais comment mettre en doute la bonne foi et la loyauté d’un duc ?

Il rentra tardivement pour déjeuner. Tandis qu’il lisait avant d’entamer deux magnifiques tranches de rosbeef étendues sur son assiette, un beau lévrier, qu’il avait fait acheter tout récemment, avança son long col et enleva, une tranche de viande. Le chevalier allait manger à son tour, lorsqu’il vit la bête se tordre en d’atroces convulsions. Il fit appeler tout son personnel et le passa en revue, menaçant des peines les plus graves quiconque oserait attenter à ses jours.

— À l’avenir, dit-il, deux hommes seront admis à ma table : mon majordome et mon intendant. Tous deux mangeront avant moi…

L’intendant, c’était M. Poiroteau.

Il se récria, en soupirant :

— Ah ! monsieur le comte, c’est trop d’honneur.

— Non, César, ce n’est point trop d’honneur, vous ne mangerez que le second. Mon majordome mangera le premier.

— J’aime mieux ça ! balbutia M. Poiroteau.

— Si l’un de ces deux hommes meurt, continua le chevalier, malheur aux autres ! Je