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Page:Boué -Le Roi des aventuriers, 1932.djvu/28

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— Et vous dites qu’il veut me voir ?

— Oui, monsieur le comte.

— Eh bien ! conduisez-moi à lui.

— Si M. le comte le permet, je vais chercher une lanterne sourde.

— Faites vite !

Quelques instants après, l’intendant vint dire au chevalier que tout était prêt.

— Passez devant moi. Je vous suis, dit d’Arsac.

L’intendant descendit dans les caves, alluma la lanterne sourde, puis il s’engagea dans des couloirs humides et ténébreux. Enfin, il s’arrêta devant une lourde porte bardée de fer et l’ouvrit.

— Monsieur le comte désire rester seul avec le prisonnier ? demanda-t-il.

— Oui, répondit d’Arsac. Laissez-moi.

L’intendant se retira d’un pas silencieux. Le chevalier s’empara de la lanterne sourde et pénétra dans une sorte de cachot étroit et humide… Devant lui, il aperçut un homme dont les bras et les jambes étaient attachés au mur par de lourdes chaînes. Le chevalier ne pouvait en croire ses yeux. Quoi ! au vingtième siècle, dans un hôtel du boulevard Saint-Germain, on emprisonnait des êtres humains comme au moyen âge !…

À sa vue, l’inconnu tente de se redresser et, dardant sur lui un regard chargé de haine et de menace, il s’écria, avec cet inimitable accent gascon qui étonna d’autant plus d’Arsac, que la voix de l’étranger ressemblait à la sienne :

— Vous voilà donc ! bandit ! Lâche imposteur !

— À qui donc croyez-vous parler, demanda le chevalier.

— Mordious ! à qui serait-ce, répliqua le prisonnier, si ce n’est au vil aventurier qui m’a trahi après s’être dit mon ami, au félon qui m’a emprisonné pour prendre ma place, pour me voler mes titres ?…

— Mais qui donc êtes-vous ?

— Qui je suis ? Vous osez demander au véritable comte de Beaulieu qui il est ?…

— De grâce ! monsieur, calmez-vous, dit le chevalier d’une voix douce, vous vous méprenez à mon égard. Il est de fait que je ressemble étonnamment au propriétaire de cet hôtel ; mais je suis, en réalité, le chevalier Gaston Terrail de Bayard d’Arsac comte de Savignac.

— Vous mentez.

— Vous mentez !

Sous l’insulte, le chevalier se cabra : une telle flamme de franchise et d’indignation passa dans ses yeux que le prisonnier en fut frappé. Ce fut une illumination soudaine.

— Serait-ce possible ?… balbutia le malheureux.

— C’est ainsi, je vous en donne ma parole de chevalier. Si je suis venu jusqu’à vous, c’est à cette invraisemblable et cependant réelle ressemblance. Je ne demande, monsieur, qu’à vous être utile et à vous secourir. Mais, dites-moi, je vous en prie, par quelle étrange fatalité vous êtes séquestré ici ?

À mesure que d’Arsac parlait, la confiance renaissait dans l’âme du prisonnier.

— Après tout, dit-il, enfin, il n’y a rien d’invraisemblable à ce que vous ressembliez à ce bandit, puisque lui-même a pris ma ressemblance ! Mes paroles vous étonnent, je le vois… Mais vous avez devant vous un homme méconnaissable : ma barbe et mes cheveux ont poussé dans ce cachot. J’étais, il y a quelques mois, ce qu’est aujourd’hui, l’imposteur qui s’est, en quelque sorte, façonné, créé à mon image. Voici, d’ailleurs, en quelques mots l’histoire de ce drame mystérieux :

— Je vous écoute, monsieur, dit le chevalier.

— Je vous l’ai dit, je suis le comte Louis de Beaulieu. Une étrange et terrible fatalité s’appesantit sur ma famille quand j’étais bien jeune. Mon père mourut d’une maladie mystérieuse, en pleine force de l’âge. Quant à moi, je fus enlevé alors que j’avais à peine quatre ans. Mon père adoptif me révéla à sa mort le secret de mon origine. Je mis tout en œuvre pour reprendre mes droits et mes titres. J’avais un ami, Marcel Legay, qui promit de me seconder.