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Feuilleton du COURRIER DE SION
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J’ignorais qu’il fût un aventurier sans scrupules. Il me dit être membre d’une puissante association secrète. Il fit agir des influences et il allait triompher. C’est alors que l’idée de se substituer à moi germa dans son esprit. Je devinai ses projets, je menaçai de le démasquer. Il m’attira dans un guet-apens et l’on m’amena dans ce cachot, où j’ai vécu depuis ce jour.

— C’est horrible et c’est infâme ! s’écria le chevalier. Mais vos mauvais jours sont passés. Dans une heure, comte de Beaulieu, vous serez délivré et je vous prierai d’accepter, chez moi, l’hospitalité que je vous réserve en attendant que vous ayez revendiqué vos droits. Mais laissez-moi agir avec prudence et circonspection.

Ne voulant pas éveiller les soupçons, d’Arsac remonta et fit appeler l’intendant.

— La présence du prisonnier ici est un péril. À la nuit tombante je l’enlèverai et, sous la menace du revolver, je le conduirai dans un endroit plus sûr.

Tout se passa comme l’avait prévu le chevalier. Le soir même, le comte de Beaulieu était installé dans l’hôtel du boulevard Suchet.

— Maintenant, lui dit d’Arsac, il est indispensable de démasquer votre imposteur. Laissez-moi agir. Je veux le prendre dans son propre hôtel comme dans une souricière. En attendant, soignez-vous, monsieur le comte, et reprenez des forces, car vous en aurez besoin dans l’avenir.

Et le lendemain, le chevalier retourna à l’hôtel du boulevard Saint-Germain.

Rien ne lui répugnait plus que le rôle d’espion, mais comment lutter contre des ennemis invisibles qui frappent dans l’ombre sans être réduit soi-même à employer un jour une de leurs armes ?

D’Arsac était résolu à attaquer loyalement dès qu’un de ses adversaires inconnus se serait dévoilé ; mais, avant tout, il importait de surprendre l’ennemi aux aguets.

D’Arsac s’était installé dans un hôtel du boulevard St-Germain. Là au moins, il était certain de n’être pas empoisonné. Il comptait voir arriver d’un jour à l’autre le faux comte de Beaulieu. Mais celui-ci ne parut pas. Où était-il ? Qu’était-il devenu ?

D’Arsac acquit bientôt la conviction que l’intendant de l’hôtel était un complice ou tout au moins un auxiliaire de l’imposteur que le comte de Beaulieu avait dit s’appeler Marcel Legay. Il fallait que celui-ci ressemblât étrangement au chevalier pour que ce serviteur ne s’aperçût point de la substitution.

Deux jours après son installation, on annonça à d’Arsac le vicomte de Lignan et le baron de Bercy.

— Faites entrer, dit le chevalier.

Deux gentilhommes du meilleur monde firent leur apparition, en criant :

— Ce cher comte ! Enfin, vous voilà. Il était temps !…

— Et pourquoi donc ? demanda le chevalier.

Il pleuvra ce soir.

D’Arsac eut bien voulu se fâcher. Cette phrase insipide avait le don de l’énerver au plus haut point. Il parvint cependant à se maîtriser et se borna à répondre :

— Ah ! ah !

— Nous viendrons vous prendre ce soir, si vous le voulez bien.

Le chevalier ne demandait pas mieux ; aussi remercia-t-il ses amis de leur délicate attention. L’entretien dura quelque temps encore :