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— Notre Haute-Cour parvint peu à peu à réunir toutes les pièces nécessaires pour établir les droits légitimes du jeune comte Louis de Beaulieu. Les coupables, avertis du péril, et craignant de perdre le fruit de leur crime, par la réhabilitation du dernier comte de Beaulieu, usèrent d’un subterfuge aussi habile qu’original. Ils suscitèrent des imposteurs, ils firent surgir de faux comtes de Beaulieu !

Ils cherchèrent adroitement des hommes dont la physionomie ressemblait à celle du vrai comte, et ils les achetèrent, exigeant d’eux qu’ils portassent le nom et les titres du malheureux jeune homme qui avait échappé à la mort qu’ils lui réservaient.

— Mordious ! murmura d’Arsac, les misérables ! et dire que j’ai eu la honte d’être, sans le savoir, un de leurs instruments.

— Vous devinez le résultat de leurs machination. Lorsque le véritable comte paraîtrait, on allait s’écrier : « Encore un imposteur ! C’est le troisième ! c’est le cinquième, etc. »

Les misérables allèrent plus loin : ils présentèrent des imposteurs, les uns après les autres, à la malheureuse comtesse de Beaulieu qui, chaque fois espérait retrouver son fils. Imaginez-vous la torture de cette mère trompée, espérant sans cesse, et sans cesse déçue ! Le but des barons de Gramat transparaît ici encore : lorsque son enfant véritable lui serait présenté, la comtesse le repousserait avec mépris en lui lançant à la face le mot terrible : imposteur !

Mais, continua le Grand-Assesseur en élevant la voix, la Haute-Cour Vehmique veillait et déjouait les projets obscurs des assassins. Au fur et à mesure que ceux-ci nouaient l’intrigue, la Main puissante des Francs-Juges la dénouait. Dès que les barons de Gramat faisaient surgir un nouvel imposteur, la Sainte-Vehme le supprimait. Elle faisait mieux. Afin que les meurtriers ne pussent exhumer plus tard un cadavre et tenter de faire reconnaître en lui la dépouille du comte Louis de Beaulieu, les corps des imposteurs étaient secrètement murés dans des lieux ignorés.

— Capédedious ! voilà pourquoi on eut recours aux services de ce malheureux Corbier, se dit d’Arsac.

Le Grand-Assesseur continuait :

— Quatre imposteurs sont morts sous le poignard de la Sainte-Vehme. Il n’en restait qu’un ; mais celui-là jusqu’à ce jour avait échappé presque miraculeusement à notre vengeance. Grâce au don qu’il possédait de se métamorphoser et de glisser entre les mailles de notre filet avec une habileté si remarquable que, pour cette raison, on l’avait surnommé « le Rival d’Arsène Lupin », il nous a échappé jusqu’à ce jour.

Depuis six mois déjà il apparaissait simultanément sous les traits du comte de Beaulieu, du marquis de Mirande, de l’ingénieur Paray, de l’inspecteur de la Sûreté Quinaux, du juge Clayette, etc. Enfin, il y a quelque temps, le comte de Beaulieu nous signala qu’il venait de s’installer dans un hôtel du boulevard Suchet.

— Hein ! mais c’est de moi qu’on parle, se dit le Gascon. Et, Mordious, par les cornes du diable, ils poussent l’audace jusqu’à m’appeler « le Rival d’Arsène Lupin » !… Et pourquoi pas Zigomar ?

— Par trois fois, continuait l’Assesseur, il échappa à notre vengeance. Brusquement, nous perdîmes sa piste et nous supposions qu’il avait fui à l’étranger, lorsque trois des nôtres le retrouvèrent à Orléans, sous le déguisement d’un propriétaire connu dans la contrée. Celui que nous appelions « le Rival d’Arsène Lupin » ne travaillait pas seulement pour le compte des barons de Gramat, mais entre temps, aussi, pour le sien. C’était un gentleman-cambrioleur.

— Mais, se dit d’Arsac, cette fois, ce n’est plus de moi qu’il s’agit : mais de mon sosie, du faux comte de Beaulieu du boulevard Saint-Germain, de ce misérable qui m’avait dénoncé pour se débarrasser d’un compétiteur gênant. Ah ! Sandious !… le bandit, en me ressemblant, me faisait passer pour un cambrioleur !… Mais qu’entends-je ?…