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Page:Boué -Le Roi des aventuriers, 1932.djvu/33

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Feuilleton du COURRIER DE SION
— 17

L’assesseur continuait :

— Les trois compagnons de la Sainte-Vehme, ayant reconnu l’homme que leur avait signalé le comte de Beaulieu, le filèrent habilement et pénétrèrent dans la maison qu’il occupait à Orléans.

Se voyant menacé, cet homme-protée usa d’un subterfuge : il déclara être le vrai comte de Beaulieu, celui qui avait dénoncé son dernier imposteur du boulevard Suchet : nos compagnons nous téléphonèrent ce matin. Nous fîmes deux visites dans l’hôtel du boulevard Suchet : l’imposteur avait disparu. D’autre part, deux des nôtres se rendirent à l’hôtel du boulevard Saint-Germain, et y trouvèrent le comte Louis de Beaulieu.

Le doute n’était plus possible. Nous donnâmes aussitôt l’ordre d’exécuter l’arrêt de la Sainte-Vehme : « Le Rival d’Arsène Lupin » a été poignardé ce matin à onze heures et son cadavre amené ici dans une malle. Le dernier imposteur est mort ! La justice de la Sainte-Vehme peut suivre désormais son cours normal.

— Il faudra ajouter l’acte de ce décès au dossier, remarqua le Grand-Maître. Il pourrait nous être utile pour justifier de l’identité du comte de Beaulieu. Il faudra indiquer le véritable nom de l’imposteur. Est-on parvenu à le découvrir ?

— Oui, bien que le nom soit compliqué. Le voici : c’est le chevalier Gaston Terrail de Bavard d’Arsac, comte de…

Il n’acheva pas. Une tempête de jurons venait de l’interrompre et le chevalier d’Arsac, mû comme par un ressort, s’était dressé en s’écriant :

— Sandious ! Mordious ! Capédédious ! par les cornes du diable ! Ah ! çà, est-ce bien moi qu’on a l’audace de traiter de la sorte ? C’est la première fois de ma vie que j’entends insulter le dernier descendant du grand Bayard !

Toute l’assemblée tournait vers le Gascon des yeux étonnés. Le Grand-Maître éleva la voix :

— Comte de Beaulieu, expliquez-vous. Nous ne comprenons pas ce que vous voulez dire.

— Mordious ! monsieur ! vous ne comprenez donc pas que je vous défends d’insulter le nom du chevalier Gaston Terrail de Bayard d’Arsac, comte de Savignac.

— Mais, comte, pourquoi donc ?

— Pourquoi, monsieur ? Mais tout simplement parce que le chevalier Gaston Terrail de Bayard d’Arsac de Savignac, c’est moi !

Il y eut un mouvement de stupeur générale.

Et brusquement, l’assemblée crut comprendre que, par suite d’une terrible méprise, on avait épargné la vie de l’imposteur et tué le véritable comte de Beaulieu.

Au silence de la stupeur succéda un formidable cri de vengeance.

Le Grand-Maître s’était levé. Il étendit la main en faisant un signe mystérieux. Ce signe c’était un arrêt de mort.

En un clin d’œil, vingt, trente, cinquante poignards brillèrent, s’avancèrent, menacèrent le chevalier d’Arsac. Il voulut parler : la rumeur couvrit sa voix. Il comprit qu’il allait être frappé sans pouvoir s’expliquer et, d’un geste décidé, il fit sortir son épée de sa canne et brandit un revolver.

Il vit un tourbillon humain bondir vers lui et, sans trembler, s’acculant à une muraille, il attendit de pied ferme.

Mais à ce moment, une sonnerie brusque retentit : la sonnerie du Grand-Maître. Le silence se rétablit comme par enchantement.