Aller au contenu

Page:Boué -Le Roi des aventuriers, 1932.djvu/40

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

résolu de frustrer à mon tour le destin. Je suis entré dans la peau d’un certain comte Louis de Beaulieu.

La fortune m’a souri, comme elle sourit à tous les audacieux. Mais figure-toi que le véritable comte de Beaulieu avait une histoire mystérieuse. La voici en quelques mots. Son père a été empoisonné il y a quelque vingt ans ; lui-même, à l’âge de quatre ans, a été enlevé et confié à un paysan du Tarn qui s’appelait Paul Bréhat. Ce père adoptif en mourant a révélé à mon comte de Beaulieu le secret de sa noble origine ; mais il a rendu l’âme avant d’avoir pu terminer son intéressant discours. Ses derniers mots furent : « Le Pâtre ! dans le pâtre ! » Et du doigt il montrait une banale statuette placée sur la cheminée. Le jeune comte de Beaulieu ne s’expliqua pas ces paroles énigmatiques.

Après la mort de son mari, la veuve Bréhat vint habiter Paris, mais cette paysanne négligea de se faire inscrire au bureau de l’état civil. On ignorait donc où elle était domiciliée et ce qu’elle était devenue.

Sur les entrefaites, nous apprîmes que le comte Georges de Beaulieu, père du comte actuel, avait en réalité été empoisonné par ses beaux-frères, les barons de Gramat. Ceux-ci, voulant hériter, avaient résolu d’empoisonner aussi l’enfant. Ils étaient aidés par un complice : Bastien Génis, le majordome du château de Beaulieu. Une de leurs conversations secrètes fut surprise par un fidèle serviteur nommé Jules Bréhat. Celui-ci, voyant le péril qui menaçait le fils de son ancien maître, enleva le jeune comte Louis qui, comme je l’ai déjà dit, était alors âge de quatre ans. Il le confia à son frère Paul Bréhat qui habitait Carmeaux, dans le Tarn, et retourna au château. Les meurtriers eurent-ils connaissance de son acte ? Le soupçonnèrent-ils d’avoir surpris le secret ? Quoi qu’il en soit, Jules Bréhat disparut mystérieusement et l’on ne sut jamais ce qu’il était devenu. Il avait recommandé à son frère Paul de cacher le jeune comte afin de le sauver. Il importait, en effet, que les barons de Gramat ignorassent ce qu’était devenu l’enfant. Mais leur complice, le majordome Bastien Génis, cherchait. Il savait que feu le comte Georges de Beaulieu avait, en mourant, confié à son fidèle serviteur Jules Bréhat un papier de la plus haute importance.

— Et, interrompit Léon Sauvage, quel était ce papier mystérieux ?

— Voici. La famille des Beaulieu, dont les aînés étaient marquis et les cadets comtes, avait pris part à la guerre de Vendée. L’un d’eux fut même un chef de Chouans célèbre. Or, en ces temps de troubles, alors que leur tête était menacée, les seigneurs de Beaulieu réunirent leurs richesses et les cachèrent on ne sait où. L’endroit où ces trésors furent amassés avait été indiqué dans un papier, dans un manuscrit rédigé dans une langue secrète, dont chaque seigneur de Beaulieu avait une copie. Or, c’est précisément cette copie que le comte Georges de Beaulieu confia, sur son lit de mort, à Jules Bréhat, en lui recommandant de veiller sur son fils et de lui remettre ce papier précieux à sa majorité.

— Mais, objecta Léon Sauvage, comment eut-on connaissance de ces recommandations suprêmes ? Jules Bréhat avait-il révélé ce secret ?

— Non. Je te le disais tantôt, le majordome Bastien Génis veillait dans l’ombre. Il épiait la mort de son maître ; il entendit ses dernières paroles, et vit Jules Bréhat s’emparer du précieux papier. Le lendemain, le fidèle serviteur partit, dans le but évident de mettre ce dépôt en lieu sûr.

Il parvient à dépister Bastien Génis lancé à sa poursuite et les barons de Gramat ignorèrent ce qu’était devenue cette pièce. Tout fait présumer d’ailleurs que les meurtriers mirent le fidèle serviteur à la torture pour lui arracher une révélation et que Jules Bréhat préféra la mort à la révélation de ses serments.