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Feuilleton du COURRIER DE SION
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Léon Sauvage interrompit à nouveau Marcel Legay.

— Le comte Georges de Beaulieu se méfiait donc de ses beaux-frères, puisqu’il préférait s’adresser à un domestique.

— Oui, tout fait présumer qu’il soupçonnait les barons de Gramat de vouloir attenter à ses jours et à ceux de son fils.

— Pourquoi donc, en ce cas, ne les dévoilait-il pas ? Pourquoi ne demandait-il pas aide et protection à la justice des hommes ?

— Noblesse oblige ! dit sentencieusement Marcel Legay. Vois-tu un comte de Beaulieu entachant le nom qu’il a uni au sien. Non, le défunt eût préféré la mort à la honte.

— Son épouse était morte ?

— Non, elle vit toujours

— Complice de ses frères ?

— Non. Mais le comte de Beaulieu la soupçonna sans doute injustement. Au surplus, la comtesse de Beaulieu était et est toujours une femme douce et faible qui ne se doutait pas de l’infamie de ses frères et était un instrument sans volonté. Peut-être son époux craignait-il plus sa faiblesse que tout autre chose.

— Bien, continue.

— Revenons-en au papier mystérieux. Le majordome Bastien Génis continuait ses recherches. Après de longues années, il finit par découvrir que le fils de son maître avait été confié à Paul Bréhat, le paysan de Carmeaux. Mais le jeune homme avait atteint sa majorité et son père adoptif était mort. La veuve de celui-ci était venue habiter Paris, où sa trace était perdue. Le défunt avait rendu l’âme en présence de plusieurs voisins qui, comme le jeune comte de Beaulieu, avaient recueilli ses dernières paroles. Grâce à cette circonstance, Bastien Génis eut connaissance des dernières paroles de Paul Bréhat ! « Le pâtre ! dans le pâtre ! »

Que signifiaient ces paroles énigmatiques ? Un trait de lumière frappa l’esprit du majordome.

Les statuettes de plâtre sont creuses. Or, les paysans ont l’habitude de cacher souvent leur pécule à l’intérieur de ces petites sculptures. Tout s’expliquait donc. Jules Bréhat, le serviteur du feu comte, avait confié le manuscrit mystérieux à son frère Paul. Celui-ci avait voulu révéler l’existence de cette pièce au jeune comté, mais la mort lui avait scellé les lèvres avant qu’il ne pût terminer la phrase commencée. La modeste statuette valait donc une fortune incalculable.

Mais où était-elle ? La veuve de Paul Bréhat était introuvable ! Plusieurs années s’écoulèrent. J’avais fait la connaissance du jeune comte Louis de Beaulieu, qui m’avait révélé ces détails. D’autre part, dans ma vie aventureuse, je fus mis en rapport avec le fameux majordome Bastien Génis, homme peu recommandable, mais qui me fut utile en maintes circonstances. Ce Génis est un homme capable de tout, vivant de rapines, de vols et prêt à commettre tous les crimes. Un jour qu’il était ivre, il me confia qu’il aurait fini dans la peau d’un millionnaire s’il était parvenu à retrouver certain petit pâtre ayant appartenu à un nommé Paul Bréhat. Je recueillis ses révélations, qui concordaient avec d’autres que m’avait faites mon excellent ami le comte Louis. Les choses en étaient là lorsque, il y a deux jours, j’appris avec surprise qu’on allait mettre aux enchères les meubles ayant appartenu à une dame Paul Bréhat. Je me rendis à la salle des ventes ; je vis la statuette représentant le pâtre et j’en devins acquéreur. J’avais un compétiteur, un vieillard, en qui je reconnus le misérable Bastien Génis, à qui ses crimes