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Page:Boué -Le Roi des aventuriers, 1932.djvu/48

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— Oui, une femme sans tête !

Legay et Sauvage distinguaient, parfaitement le corps vêtu d’une robe pâle, le buste droit, les bras ballants, les épaules et une partie du cou. Mais sur ce cou, il n’y avait point de visage.

Malgré tout le scepticisme railleur dont les avait doués le XXe siècle, les deux jeunes gens frémirent.

L’homme à la cagoule ou au linceul noir était certes impressionnant. Cependant on pouvait imaginer en lui un être vivant. Mais la femme sans tête !… Aucune femme ne vit ainsi, si ce n’est au figuré.

De tout temps, le cerveau a été un organe indispensable dont l’audacieuse chirurgie n’a pas encore songé à nous débarrasser…

Legay et Sauvage contemplant ce spectacle ressentaient un petit frisson. Ils ne savaient quel parti prendre.

Les deux êtres mystérieux s’avançaient vers eux. Ils n’étaient plus qu’à une dizaine de mètres de la grille, lorsque tout à coup ils disparurent tous deux comme par enchantement.

Cependant une dernière lueur de la lanterne sourde erra quelques instants sur les parois de granit.

— Où sont-ils passés ? chuchota Sauvage.

— C’est bien simple, répliqua Legay. Ils ont obliqué et se sont engagés dans une galerie transversale : le dernier reflet de la lanterne le prouve.

— Mais qu’est-ce pour des macchabées ?

— Ah ! là est la question !…

— Je ne m’attendais pas à celle-là !…

— Moi non plus, par exemple !

— La femme sans tête est tout particulièrement impressionnante.

— C’est mon avis.

— Comment expliques-tu cette double apparition ?

— Hum ! Je n’explique rien du tout.

— Ça m’a coupé bras et jambes. Que faisons nous ?

— Attendons un instant.

Les deux amis attendirent. Mais les être mystérieux ne reparurent plus.

— Remettons-nous à l’ouvrage, dit Legay.

Les limes grincèrent à nouveau. Mais le travail produisait peu d’effet. Les outils employés étaient trop fins pour entamer rapidement des barreaux de fer de cette grosseur.

— M’est avis, dit Sauvage, que nous ferions bien de remettre notre travail à demain et de nous munir de limes plus puissantes.

— Tu as raison, réplique Legay. Nous reviendrons demain mieux armés. L’heure s’écoule d’ailleurs, et il importe de ne point éveiller les soupçons. Retournons.

Legay et Sauvage reprirent le chemin qu’ils avaient parcouru.

Rentré dans la Salle des Gardes, Legay abaissa, le bras du Christ et, comme il l’avait prévu, le mur, mû par un mécanisme intérieur, se referma, cachant le passage secret.

Puis, les deux amis rentrèrent silencieusement dans leurs appartements et s’endormirent en songeant à la mystérieuse femme sans tête.


L’histoire de la dame sans tête.


Marcel Legay et Léon Sauvage se levèrent à une heure assez tardive.

Le comte de Beaulieu les attendait pour déjeuner. Dès qu’il les vit, il alla à eux les mains tendues. Puis tous se mirent à table.

— Excusez-moi, dit le comte, si le service laisse à désirer. Depuis mon arrivée dans ce château, trois de mes domestiques m’ont quitté ; un quatrième est mort. Aujourd’hui matin, un cinquième vient de me déclarer qu’il désire quitter ce manoir maudit.

— Ce manoir maudit ? dit Legay avec surprise.

— Eh oui ! continua le comte, mes serviteurs prétendent que mon château est hanté. Plusieurs d’entre eux m’ont déclaré, à plusieurs reprises, avoir vu apparaître un être mystérieux, un moine revête d’une cagoule noire, et accompagné d’une femme sans tête.