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Page:Boué -Le Roi des aventuriers, 1932.djvu/52

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— Qui je suis ! Par les cornes du diable ! il n’y a qu’un chevalier Gaston Terrail de Bayard d’Arsac de Savignac.

À ce moment, Marcel Legay se leva, décidé à brûler ses vaisseaux, et s’avança vers le chevalier d’Arsac, en disant :

— Pardon, Monsieur, vous l’avez dit, il n’y a qu’un chevalier d’Arsac : c’est moi.

Le nouvel arrivant aperçut alors le gentilhomme-cambrioleur ; il sursauta et lança à son interlocuteur un regard foudroyant :

— Quelle est cette imitation indigne de l’original ! rugit-il. Quelle est cette mauvaise copie d’un chef-d’œuvre ? Sachez. Monsieur, que je ne permets à personne de me ressembler, si ce n’est au comte de Beaulieu.

Mais Marcel Legay avait brûlé ses vaisseaux ; à aucun prix, il ne voulait reculer ; le moindre mouvement de retraite eut été une défaite.

Ce fut, dès lors, une scène pathétique et comique au plus haut point. Rien n’était plus curieux que le spectacle de ces deux hommes qui se ressemblaient d’une façon étonnante et semblaient s’imiter mutuellement dans leurs gestes, leurs attitudes et leurs paroles. Les Mordious ! les Sandious ! les Capédédious ! s’entrechoquaient avec un bruit de tonnerre.

Et le comte de Beaulieu assistait, ahuri et perplexe, à cette scène inattendue. Les deux rivaux ayant changé de place, au cours de leur discussion, il ne discernait plus son ancien hôte du nouveau.

Marcel Legay était blême, le chevalier d’Arsac était écarlate : ces deux teintes seules eussent permis à un esprit calme de les différencier. Le gentilhomme-cambrioleur attestait son authenticité en la basant sur le témoignage de son ami le vicomte de Sauvan. Quant au chevalier d’Arsac, il prenait à témoin tous les héros de Gascogne et d’autre part.

La scène eût duré longtemps, si un éclair de génie, une idée lumineuse n’eût traversé l’esprit du véritable d’Arsac. Le Gascon avait eu l’œil attiré par une panoplie dont les armes étincelaiont joyeusement dans un rayon de soleil. De même qu’Achille se révéla à la vue d’un glaive, l’âme du chevalier s’éveilla sous l’éclair d’une épée.

Il courut à la panoplie et en décrocha deux longues rapières qui dataient du temps de la Fronde.

— Ah ! ah ! s’écria-t-il triomphant, nous allons voir où est le chevalier d’Arsac, le plus habile escrimeur du continent, le plus vaillant chevalier de ce siècle de pacotille ! Armez-vous, Monsieur mon imitateur, et révélez-nous les talents du chevalier d’Arsac. C’est à la griffe, Monsieur, qu’on reconnaît le lion !

Et le Gascon planta dans la main de son interlocuteur le pommeau d’une rapière. Malgré lui, Legay se vit armé. L’épée, au lieu de rehausser son courage, d’aiguiser son ardeur, produisit un effet tout opposé. Le malheureux se sentit faiblir : il savait, certes, se servir d’un revolver, mais en fait d’armes blanches, il ne connaissait que le maniement du couteau de cuisine.

Il comprit qu’il était perdu et qu’il ne lui restait de salut que dans la fuite. Déjà la rapière du chevalier d’Arsac voltigeait, menaçante, autour de son nez. Il voyait étinceler mille éclairs devant ses yeux.

La porte était restée ouverte. Il mesura la distance qui le séparait du seuil, et, soudain, recouvrant toute une énergie latente, il bondit et disparut comme un lièvre.

— Eh ! mon ami ! s’écriait le pseudo-vicomte de Sauvan, qui se voyait abandonné dans une misérable position, eh ! mon cher ami, où allez-vous q… vous trouvez-vous mal ?…

Et Sauvage s’élança dans le but apparent de retenir son malheureux compagnon atteint de démence soudaine.

Il en profite pour le suivre et… pour disparaître à son tour.

Le chevalier d’Arsac haussa les épaules, alla raccrocher soigneusement les rapières à la panoplie, puis il se dirigea vers Louis de Beaulieu en s’écriant :