Page:Boué -Le Roi des aventuriers, 1932.djvu/51

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
Feuilleton du COURRIER DE SION
— 26

— Ce retard peut nous être préjudiciable.

— Hélas.

Et les deux amis se séparèrent et se mirent au lit en maugréant.

Le lendemain matin, ils se levèrent très tôt. Louis de Beaulieu les attendait déjà. Les trois jeunes gens se mirent à table et passèrent la matinée à se promener dans le parc et les bois environnants. Ils arrivèrent ainsi devant une petite chapelle isolée.

— C’est l’ancienne chapelle du château, dit le comte de Beaulieu. Elle est assez curieuse. Je vais vous la faire voir.

Il tira une clef de sa poche et ouvrit le portail. L’intérieur était somptueux. Louis de Beaulieu fit admirer à ses compagnons de beaux vitraux et des statues dues au ciseau de sculpteurs de talent. Legay s’arrêta devant un saint Michel terrassant le dragon, dont les proportions étaient énormes. La statue était en bronze et en cuivre ; l’archange apparaissait dans une attitude altière, et de sa lance suspendue menaçait la gueule du démon. Sur le socle était écrite en caractères dorés cette phrase énigmatique :


Lorsque de saint Michel la lance tombera
Justice se fera.


Legay demanda la signification de ces mots au comte de Beaulieu ; celui-ci répondit qu’il l’ignorait. Cette statue avait été commandée par feu son père, quelques mois avant sa mort à un artiste de renom.

Les trois jeunes gens sortirent de la chapelle et rentrèrent au château. Ils allaient se mettre à table, lorsqu’un domestique annonça l’arrivée d’un étranger qui disait être le chevalier Gaston Terrail de Bayard d’Arsac, comte de Savignac.

Ce fut un coup de foudre. Marcel Legay blêmit. Il se ressaisit pour s’écrier :

— Quelle est cette plaisanterie de mauvais goût ?

Le comte de Beaulieu était très perplexe.

— C’est sans doute, continuait Marcel Legay, quelque aventurier qui aura pris mes titres et ma physionomie.

C’était l’avis du comte de Beaulieu, qui se disposait à éconduire le nouveau venu, lorsque des jurons d’apparat résonneront dans le couloir.

— Mordious ! Sandious ! Capédédious ! rugissait une voix, ne vous ai-je pas dit, maroufle, d’annoncer au comte de Beaulieu le chevalier d’Arsac, son ami ?

C’était à s’y méprendre, la voix de Legay et aussi celle du comte de Beaulieu ; celui-ci avait été élevé en Gascogne et avait gardé l’accent.

— Par les cornes du diable ! continuait la voix impérative dans le corridor, je suis un homme dans le genre de Louis XIV ; je n’aime pas d’attendre. Qu’on avertisse le comte de Beaulieu de ma venue.

— Je vais éconduire cet importun, dit Louis de Beaulieu se levant.

Mais à, ce moment, une silhouette conquérante apparut dans l’entrebâillement de la porte : c’était celle du véritable chevalier d’Arsac.

Le nouvel arrivant aperçut le comte de Beaulieu et s’avança vers lui, les mains tendues. Le maître de céans gardait une attitude réservée et froide.

— Sandious ! s’écria le chevalier d’Arsac, vous ne me reconnaissez donc pas, mon cher comte ?

— Mais, Monsieur, dit Louis de Beaulieu, je ne sais vraiment qui vous êtes.