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Feuilleton du COURRIER DE SION
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Ce dernier incident attisa ses craintes et, à partir de ce moment, il vécut dans des terreurs continuelles. Il ne pouvait désormais attribuer au hasard les périls dont il avait failli, par trois fois être victime. Il pressentait qu’il avait des ennemis inconnus et puissants qui mettraient tout en œuvre pour le frapper, tôt ou tard.

Ç’avaient d’abord été des ouvriers faisant tomber une pierre de taille, puis des automobilistes lançant leur voiture sur lui, enfin des apaches cherchant à le poignarder à l’improviste…

Oui, une main mystérieuse guettait incessamment dans l’ombre, prête à le happer au moment propice et à lui donner le coup suprême…

Quels étaient ces ennemis puissants qui le poursuivaient inlassablement de leur haine, employant les auxiliaires et les instruments les plus imprévus pour assouvir leur vengeance ?

Pouvait-il espérer leur échapper ? Un jour viendrait où les faits presque miraculeux qui l’avaient préservé jusqu’alors feraient défaut et où il tomberait sous l’arme inconnue, tandis que, grâce aux moyens employés, on attribuerait, sans doute, sa mort à une cause tout accidentelle !

Il demanda assistance à la police. Le commissaire à qui il s’adressa crut voir en lui un maniaque ; toutefois, sur ses insistances réitérées, on promit de le protéger et de surveiller les alentours de sa maison. Mais cette surveillance se relâcha peu à peu.


Le revenant


M. Corbier redoublait de prudence, ne sortant plus le soir, évitant, le jour, les rues peu passantes, se barricadant la nuit…

Il vivait dans un perpétuel état de terreur.

Qu’y a-t-il de plus effrayant qu’un danger occulte qu’on devine sans pouvoir le déterminer, que l’on appréhende sans pouvoir l’éviter ?

Cependant, M. Corbier eut quelques jours de répit. Ses ennemis semblaient lui avoir accordé une trêve provisoire. Sans doute était-ce pour mieux choisir leur heure et frapper à coup sûr !…

Le maître-maçon reprenait peu à peu espoir lorsqu’un nouvel événement, plus inattendu encore que les précédents, vint à nouveau jeter le trouble dans son esprit.

Un matin qu’il venait de franchir la Porte Saint-Denis et s’engageait dans le boulevard Bonne-Nouvelle, une véritable apparition surgit à ses yeux et le fit frémir de surprise et de stupeur.

Il s’arrêta, médusé, pétrifié sur place. Devant lui arrivait, en sens inverse, un jeune homme de vingt-cinq ans environ, au port hautain, à l’attitude fringante. Il marchait, la tête légèrement relevée ; ses nobles traits avaient à la fois une expression à la fois dédaigneuse et provocante. Il portait la moustache relevée en croc et la « royale » ; mais ce qui frappait surtout dans cette mâle physionomie, c’étaient deux yeux noirs au regard flamboyant d’audace et d’intelligence.

C’était une de ces têtes peu communes qu’on n’oublie pas quand on les a vues, ne fût-ce qu’un instant.

Et moins que tout autre, M. Corbier ne pouvait avoir oublié ce visage qui était gravé en traits indélébiles dans sa mémoire, depuis le travail macabre qu’il avait entrepris dans les tragiques circonstances que nous avons rapportées.

Le maître-maçon venait, en effet, de reconnaître dans l’inconnu qui traversait le boule-