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yeux, deux ouvriers étrangers qui, entre les poutrelles du premier étage, semblaient l’observer avec insistance. En l’apercevant, l’un de ces inconnus fit un signe à son compagnon en disant :

Il pleuvra ce soir.

L’autre répondit :

Oui, le vent souffle de l’ouest.

Ces phrases, bien simples en elles-mêmes avaient été prononcées sur un ton singulier qui n’échappa pas au maître-maçon.

Il allait interpeller ces deux hommes lorsque soudain une énorme pierre de taille tomba avec fracas à quelques centimètres de lui.

M. Corbier trembla de tous ses membres : il venait de voir la mort s’abattre à côté de lui et il n’y avait échappé que grâce au brusque mouvement de recul qu’il avait fait en levant la tête qu’il devait de n’avoir pas été tué.

Ayant recouvré son sang-froid, il gravit l’échelle qui menait au premier étage, à l’effet de déterminer la cause de cet accident et d’en demander compte aux ouvriers inconnus : mais ils avaient disparu. D’où venaient-ils ? Par où étaient-ils partis ? En cherchant, M. Corbier aperçut, apposée contre l’ouverture d’une fenêtre du premier étage, une échelle qui n’était pas là la veille et qui, selon toute vraisemblance, avait servi à faciliter la fuite des inconnus.

Quelques heures après, il questionnait l’entrepreneur qui lui répondit qu’il ne savait quels pouvaient être les ouvriers qu’il avait vus.

M. Corbier ne pouvait donc attribuer au hasard l’accident dont il avait failli être victime et il trembla à l’idée des périls inconnus qui le menaçaient et dans lesquels il voyait l’œuvre d’une main mystérieuse.

Deux jours après, comme il traversait la rue Le Nôtre, une automobile lancée à toute vitesse vira si brusquement dans sa direction qu’il n’eut que le temps de se garer pour ne pas être écrasé. La voiture passa si près de lui qu’il ressentit dans les reins une violente secousse produite par le garde-crotte.

Avant qu’il ne se fût rendu compte du péril auquel il venait d’échapper, l’auto avait disparu. Mais, comme dans une de ces vagues réminiscences qui succèdent aux rêves, il crut se souvenir avoir entendu une voix prononcer ces mots étrangers, malgré leur apparente simplicité :

Il pleuvra ce soir.

Que signifiait cette phrase énigmatique qui pour la seconde fois, précédait le péril qui le menaçait ?

Trois jours s’écoulèrent, sans qu’aucun incident ne se produisît.

Mais le soir du quatrième jour, alors qu’il revenait de La Villette en prenant une rue peu passante à cette heure, il croisa trois voyous à la mine mauvaise, coiffés de casquettes et vêtus en apaches. Ces trois personnages semblaient ivres et titubaient. Ils n’eussent point attiré l’attention de M. Corbier, si l’un d’eux : n’eût chuchoté à l’oreille d’un de ses compagnons :

Il pleuvra ce soir !

— Oui, répondit l’autre, le vent souffle de l’ouest !

Le maître-maçon n’en entendit davantage. Il fit un brusque écart. Il était temps. Un des inconnus, simulant le chancellement de l’ivrogne, allait le heurter au passage.

M. Corbier vit, dans l’ombre, luire l’éclair d’un couteau. Il se sauva en courant, aussitôt poursuivi par les trois voyous qui l’invectivaient en termes argotiques, l’accusant de les avoir provoqués.

Le maître-maçon voyant à nouveau paraître le mystérieux danger qui le menaçait, redoubla d’ardeur et précipita sa course.

Il eut la chance de gagner une artère importante et d’apercevoir un gardien de la paix. Il courut à lui, pour lui demander assistance. Mais lorsqu’il se retourna afin de montrer ses agresseurs, ceux-ci avaient disparu.