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DES SAVANTS

n’empêchera pas les Anglais de se croire le premier peuple du monde, 
 en tout et pour tout. Qu’on les force de temps en temps à la plus 
juste appréciation de leurs mérites, qui sont très grands, rien de 
mieux. Fresnel avait raison de se plaindre… ; mais j’ai lu pour la 
première fois ses lettres dans les œuvres d’Young : ce qui prouve
 qu’au moins quand ils ont tort, les Anglais savent le reconnaître.


À quel spectacle assistons-nous aujourd’hui.

Que la science française soit dans un piteux état, est chose évidente. Cherchons-nous à la relever par notre travail ?

Oh ! que nenni ! Nous crions sur tous les toits que nous avons produit de très grands hommes, Lavoisier, Fresnel… ce que personne ne conteste, puisque précisément la thèse de nos ennemis est notre décadence actuelle. On ne reproche pas aux Arméniens de ne pas avoir de grands savants, parce qu’ils n’en ont jamais eu : on nous reproche de ne plus en avoir, parce que jadis nos grands hommes riva
lisaient avec les plus grands. Nous ne convaincrons personne parce
 que nous prêchons des convertis. Découvrez actuellement en France 
un Lavoisier ou un Fresnel : vous augmenterez beaucoup plus notre
 prestige extérieur qu’avec toute votre propagande dont les étrangers 
se gaussent.

Je l’affirme sans craindre un démenti : pour écrire mon ouvrage je 
pourrais sans inconvénient supprimer toute la science française
 depuis trente ans ; je n’aurais pas un mot à changer.

Je passe le plus clair de mon temps à lire de l’allemand et de l’anglais : croyez bien que ce n’est pas pour mon plaisir.

Chaque fois que paraît une de mes préfaces, je reçois des lettres réclamant la priorité des thèses que je soutiens. À quoi je réponds invariablement ce qui suit : « Monsieur, Je vous suis particulièrement obligé pour la lettre dont vous avez bien voulu m’honorer. Pour moi c’est un contentement extrême de me rencontrer avec un homme tel que vous. Mes thèses me semblent d’une telle évidence et d’une vérité, pour ainsi dire, si palpable, que je serais surpris qu’elles ne fussent pas depuis longtemps dans le domaine public. Tout de même. Monsieur, permettez-moi de m’étonner qu’un homme aussi considérable que vous l’êtes, n’ait pu modifier quoi que ce soit, depuis si longtemps que vous me dites qu’il affiche des opinions si parfaitement opposées à celles que professe l’Université prise en corps. Je ne doute pas, Monsieur, que vous n’ayez défendu vos convictions avec toute l’ardeur dont elles sont dignes, et cela même au risque de retarder votre course dans la carrière des honneurs. Ce qui prouve une incomparable inertie dans la machine que nous désirons l’un et l’autre mettre en branle, et ce qui doit m’excuser auprès de vous de reprendre à mon compte une bataille, perdue d’avance puisque vous ne l’avez pas gagnée, mais dont le renouvellement doit vous sembler honorable. Veuillez agréer, etc., etc., etc. »