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DES SAVANTS

J’avais dans le temps un collègue qui, régulièrement, deux fois par an, oubliait son déjeuner et ne manquait pas de raconter à tout le monde qu’à cinq heures de l’après-midi, il s’était brusquement réveillé de ses profondes méditations : il apportait un petit pain dans sa poche et sa femme était prévenue.

Vous dites que d’aussi légers travers n’ont aucune importance. Je ne suis pas de votre avis. Quand les savants voudront bien admettre que la science est un métier comme un autre (un peu plus difficile, si vous le désirez), que le savant n’a rien de spécifiquement exceptionnel, je vous assure qu’ils feront des programmes moins stupides, parce qu’ils reconnaîtront que la fabrication d’une ficelle est d’intérêt au moins égal à la préparation de l’azoture de calcium (qu’on demande aux demoiselles ambitieuses de gagner leur vie en serinant l’arithmétique aux petites filles qui se fourrent encore les doigts dans le nez).

Quand les savants se croiront de la même pâte avec le commun des mortels, ne s’imagineront plus former une caste intellectuelle, quand ils estimeront à sa juste valeur le travail de leur esprit, l’enseignement scientifique gagnera en ampleur et en utilité.

L’exemple suivant fera mieux comprendre le reproche que j’adresse aux savants ou soi-disant tels.

Pour l’ouvrage dont cet essai forme la préface, j’ai dû recueillir de multiples renseignements sur les cloches. L ahurissement fut extrême, chez quelques-uns de ceux qui me les fournirent, qu’un savant pût s’occuper des cloches. Et quoi donc veut-on raisonnablement que contienne un traité sur le pendule ? Mais le public a l’idée fausse, soigneusement entretenue par les savants eux-mêmes, que leurs préoccupations diffèrent complètement de celles d’un industriel, pour préciser, d’un fondeur de cloches. Certes, je ne dis pas que le physicien dans son laboratoire, et le fondeur dans son usine, regardent la question exactement du même biais ; je dis simplement qu’ils traitent le même problème, avec les mêmes méthodes, en donnant plus ou moins d’importance à certains de ses aspects. En définitive, si l’objet des expériences et la méthode sont les ’mêmes, pourquoi vouloir que le savant se distingue d’un fondeur par ses qualités ou défauts intellectuels, par sa cravate ou son habit ?

Je ne veux pas déprécier les savants ; simplement, je soutiens cette thèse évidente qu’entre le savant qui étudie la théorie des échappements et l’horloger qui cherche un échappement nouveau, il y a parfaite continuité.

Descendez d’un degré : vous rencontrez ces primaires qui, pour avoir lu quelques extraits de Proudhon ou de Marx, s’imaginent être des cerveaux, trouvent au-dessous de leur mérite le travail manuel, et se croient dévolus aux plus hautes destinées politiques. Tous ces intellectuels ratés sont grotesques au suprême degré. Mais,