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en Europe, mais même dans une seule province, car tel l’est un jour qui ne le sera pas le lendemain ; tel encore le sera à nos yeux, qui ne l’est pas aux yeux d’un autre ni même aux siens. Donc, sans chercher à discuter ici le plus ou le moins d’exactitude de ces tableaux, ni à séparer les pauvres des indigens, nous ne nous arrêterons qu’à la conséquence qu’on peut en tirer et qui vient à l’appui de ce qui précède : c’est qu’en tout pays la nature du gouvernement influe sur la misère ou la prospérité individuelle, et qu’il est des lois et des régimes sous lesquels le nombre des pauvres doit toujours augmenter. Mais ce sont alors des misères imposées qui proviennent moins de ceux qui en souffrent que de ceux qui en profitent, misères qui, souvent aussi, naissent de la mauvaise application d’une bonne intention, ou plus souvent encore d’un faux système. Si l’ignorance a été partout une source de pauvreté, la fausse science a pu également le devenir.

Les mesures coercitives, quand elles concernent l’industrie et le bien-être, parussent-elles utiles en théorie, ont souvent à l’exécution un effet désastreux, parce qu’elles isolent les intérêts. Chacun se débat pour son compte contre la gêne qu’on lui impose. Dès ce moment, point d’union, pas de travaux d’ensemble ; on ne s’associe plus pour défricher, pour planter ou fabriquer. C’est alors que la population oisive et inquiète, en proie au malaise, s’agitant en tous sens, paraît surabondante et qu’elle l’est en effet.

Mais ces calamités collectives qui frappent en masse et rendent toute une nation pauvre et souffrante, de même que celles qui arrivent à la suite d’un grand désastre, de la guerre, de l’invasion, de l’incendie, ces misères accidentelles ou factices, si elles sont les plus terribles, sont aussi les moins durables. On peut les comparer aux maladies aiguës qui, lorsqu’elles ne tuent pas le malade, lui procurent après la convales-