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cence, une santé plus robuste. Bientôt gouvernans et gouvernés en apercevant la cause du mal s’entendent pour appliquer le remède ; il suffit donc d’un jour de réflexion pour détruire le germe morbide, et la pauvreté disparaît devant la liberté rendue à chacun.

Il n’en est pas ainsi de la misère qui existe dans cette liberté, misère qui tient au caractère d’un peuple ou plus encore à son défaut de caractère, mal qu’on sent, mais qu’on ne définit pas, misère vraiment funeste en ce qu’elle est sans cause apparente et qu’elle existe même où ne règne pas l’arbitraire, où elle n’est pas imposée. Cette misère est la plus maligne, la plus difficile à traiter. Produite par mille incidens, mille vers rongeurs, elle tient à l’individu plutôt qu’au sol ; chaque victime, chaque misérable l’est parce qu’il veut l’être, parce qu’il ne sait pas être riche. C’est une maladie de langueur à laquelle nul remède ne semble applicable, et où il n’y a en réalité que des plaies à sonder, que des vices à écarter, que des préjugés à détruire.

Telle est la vraie misère, celle que souvent on ne peut guérir, car un chancre extirpé, il en restera cent autres, et cent autres que personne ne voit, et par conséquent auxquels nul ne croit. Le pauvre sent bien qu’il l’est, mais il attribue son état à toute autre cause qu’à lui-même, et quand on travaille à sa guérison il se refuse au remède. « Le remède à la pauvreté, dit-il, c’est la richesse ; donnez-moi de l’or et je ne serai plus pauvre. » En cela il se trompe, car avec de l’or il redeviendra pauvre, s’il continue à faire tout ce qu’il faut pour l’être.

Ce qui éternise la misère, ce qui l’accroît peut-être plus encore que l’ignorance, c’est cette conviction dans laquelle vivent beaucoup de prolétaires, qu’ils sont au monde pour être pauvres et qu’ils resteront pauvres quoi qu’ils fassent, parce que l’on naît misérable comme