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quelqu’un a besoin, il va prendre à son voisin. Si ce voisin veut défendre sa propriété, il s’en suit un combat à mort, et la misère de tous deux cesse, puisque l’un est tué et que l’autre en hérite.

Telle est la loi de la nature selon quelques-uns : le droit de propriété, disent-ils, doit céder devant la nécessité. Doctrine insensée qui ne peut mener qu’à la ruine de tous. Mais en écartant même la violence, en basant le partage ou l’aumône sur l’humanité ou la charité ; ce partage, cet abandon de la propriété est le plus grand obstacle chez le sauvage comme chez l’homme civilisé, à son développement moral, à son amélioration et au bien de tous. Quand un individu compte sur un autre, quand il n’est pas responsable de son propre avenir, quand il ne se croit pas personnellement intéressé à être prévoyant et économe, il ne l’est pas. Il ne le sera pas davantage là où il n’aura pas la certitude de conserver ce qu’il a, car il n’acquerra pas ou ne gardera rien.

La grande opulence n’est une cause de misère que lorsqu’elle absorbe la substance, lorsqu’elle attire à elle la richesse pour l’enfouir, ou bien lorsque par un défaut contraire, elle la prodigue au hasard, et qu’au lieu de payer le travail, elle donne sans condition ou achète ce qui ne devrait pas l’être. En général le contact de l’opulence n’appauvrit le peuple que là où elle le démoralise. Comment l’appauvrirait-elle autrement ? Qu’un homme ait cent mille francs de rentes ou un million, son estomac ne contiendra pas plus qu’un estomac humain ; il ne mangera que ce qu’un homme peut manger, il n’usera en habits, en maisons, en voitures, en luxe, que ce qu’un seul use ; par conséquent il peut dépenser beaucoup sans consommer personnellement davantage, et ce qu’il ne consomme pas est toujours consommé par les autres.

Le contraire ne peut arriver que s’il arrête la cir-